Élisabeth nous raconte, sur la base de proverbes malgaches, son expérience et sa mission en tant que volontaire DCC et coordinatrice pédagogique dans un orphelinat à Madagascar.
La vie des Malagasy est colorée de proverbes et d’expressions poétiques ancrés dans le rythme de la nature, le rythme du temps qui passe, le rythme des évènements de la famille et du voisinage, mais également enracinés dans les certitudes traditionnelles qui aident à vivre. Alors je vais en décliner quelques-uns pour vous écrire ma rencontre avec Madagascar.
« Ny roa no tsaranoho ny iray
Tsara mande roa; raha lavo, misy mpanarina. »
« Qui passe voit les feuilles
Qui interroge voit les racines »
RENCONTRER
Volontaire sur une mission à Madagascar comme coordinatrice pédagogique dans un orphelinat, et partageant au quotidien la vie d’équipes d’éducateurs et d’enfants, je m’installais en immersion en espérant rencontrer un peu de ce pays et en découvrir les richesses humaines. En travaillant également dans deux écoles maternelles, la détresse des enfants en situation de rue m’interpelait et j’engageais en accord avec l’association Aïna un temps de bibliothèque de rue en extérieur. Dans la confiance et au fil des semaines, les enfants se sont approchés, puis leurs familles pour observer et pour prendre place au milieu des enfants.
AU SERVICE
Cette expérience de fraternité au service des enfants les plus vulnérables, si elle est reconnue et organisée, me semble contribuer à redonner sa place d’enfant à chacun, à travers le jeu et le livre offert, pas seulement aux petits accueillis mais aussi à tous les autres enfants et à leurs familles.
Restaurer un enfant de poussière ou un enfant fracassé dans sa dignité d’enfant, même à travers des réalisations très modestes, c’est déjà commencer à promouvoir la dignité de tous.

« Miray saina mandritra ny androm-piainany
ireo mananavatsy mitovy«
« Ceux qui ont les mêmes provisions
de voyage sont unis pour la vie »
PARTAGER
Être au service c’est aussi se mettre en capacité de recevoir, c’est faire de la place en soi pour l’autre, pour cette enfant morveux sale malmené et tellement différent. D’abord parce que tout seul nous ne pouvons rien ou pas grand-chose… et parce que la découverte de la joie à être avec, à jouer, à attendre le temps du « tapis », à transmettre et à chanter, met en partage les compétences et talents de tous et chacun. Cette seule présence au milieu de ces enfants nourrit le sens de toute la mission.
« Hazo maniery,tsofin’ny rivotra. »
« Arbre solitaire, le vent le fait tomber. »
RESISTER
Oh bien sûr, les difficultés imprévisibles comme une pluie torrentielle qui rend impossible le fait d’être dehors ou un des tapis qui disparaît, ou bien de soudaines contraintes administratives, ou encore des malentendus culturels, et les peurs liées à l’insécurité font que chaque séance est une petite victoire sur la pauvreté et le découragement. Parce que inlassablement certains enfants reviennent et interpellent.
Parce que des parents s’approchent pour se faire confirmer le retour la semaine suivante, guident leur enfant vers « le tapis » ou tendent la main pour un « Manahoana »
Parce que les cris de joie à découvrir les images des livres ou à apprendre une chanson, qui sera fredonnée dans le quartier, encouragent d’autres bénévoles à s’engager
Et résister, c’est aussi travailler et réfléchir chaque jour avec les équipes d’éducateurs de l’orphelinat pour que des enfants d’Aïna orphelins ou issus de la rue et de la grande pauvreté grandissent en protection et attention.
« Ny roa no tsaranoho ny iray
Tsara mande roa; raha lavo, misy mpanarina.
« Deux valent mieux qu’un,
car si l’un tombe, l’autre le relève. »
RESISTER ENSEMBLE
Résister c’est surtout résister ensemble.
Impossible de faire tout seul surtout lorsque comme moi, on ne maîtrise pas la langue et les codes culturels et que les incompréhensions peuvent mener vers des déchirures conflictuelles. Alors il me faut prendre appui sur l’amitié et les savoirs de mes collègues du centre et de l’association.
Pour les Malagasy, la vie ne se conçoit qu’en résistance et en solidarité pour tenir face aux rigueurs de l’existence. Et il faut un courage incroyable pour supporter la longueur des trajets en bus dans Tananarivo, l’insécurité quotidienne, la pollution et la saleté galopante des déchets au cœur des trottoirs, le désespoir des gens rencontrés qui croulent sous les difficultés économiques, la maladie, l’impuissance à rêver d’une vie autre.
Et comment refuser de détourner le regard sur cette misère exponentielle qui nivelle toute solidarité : survivre est d’abord l’urgence.

« Aiza ny fo,
tsy misalasala ny tongotra«
« Là où le cœur est,
les pieds n’hésitent pas à aller »
« Matetika ny lalana
dia ho toa velona kokoa«
« Fréquentez souvent le sentier,
il paraîtra plus vivant. »
Alors ESPERER COMME UNE EVIDENCE
Parce que cela donne du courage au quotidien, celui qui fait être debout jour après jour pour commencer une journée, ce courage invisible mais tellement essentiel.
Que ce soit au centre en accueillant dès le matin les enfants et les adultes accompagnateurs ou pour Féno tirer sa charrette à bras chargée de sac de riz ou pour Hasina faire 2H de bus pour rejoindre son collège ou pour Fara qui se lève des 3h pour vendre sa petite récolte de brèdes.
Espérer c’est cette petite force d’amour qui colore la vie et éclaire nos routes, c’est ce que je reçois des autres qui m’épatent inlassablement, me portent encore et encore et m’aident à être plus vivante. Espérer c’est aussi de ne pas être seule et le savoir, c’est accrocher à son cœur « un petit morceau de chiffon rouge » et chanter ensemble.
« Ny olombelona dia mitovy amin’ny
taho voatavo: raha mihady ny tany ianao«
« L‘Humanité ressemble aux tiges des Citrouilles,
si on creuse le sol, la tige est unique.

CROIRE
Alors dans toute cette vie reçue, je découvre la présence d’un amour infini donné en abondance à travers les souffrances et impuissances rencontrées, mais aussi les incroyables initiatives de solidarité et de partage. Je découvre que ceux que l’on aime ou que l’on croise, peuvent nous surprendre par leur enthousiasme, par leur disponibilité, l’amitié qu’ils dégagent ; et qu’ils mettent de la lumière dans tout ce que nous pouvons entreprendre ensemble. J’ai envie de croire que le temps passé avec les autres quel qu’il soit n’est que du temps gagné. Que nous pouvons encore être nombreux à nous mobiliser, marcher et travailler à un monde plus juste et plus fraternel. Que nous en avons déjà dessiné une lueur. Je crois que ce qui se passe dans le monde me concerne et me renvoie à être encore plus solidaire avec d’autres ici à Madagascar, mais aussi chez moi là où je vis avec ma famille. Et que nos engagements en fraternité sont liés à une force d’amour qui nous dépasse et nous nourrit individuellement et collectivement.
Je crois en cela infiniment
et nous sommes nombreux en humanité…