Emmanuel est parti en 2021 comme volontaire DCC au Congo au service de l’association Solidarité Batoto Congo pour accompagner des jeunes filles-mères en situation de rue. Il nous raconte son expérience à travers un interview.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Emmanuel, j’ai 27 ans. En fin de parcours dans l’enseignement supérieur, j’ai obtenu un master en gestion hospitalière de la Faculté de Médecine de Toulouse. Aussi, je viens d’achever en décembre dernier une mission d’un an de volontariat de Solidarité Internationale (VSI) en République Démocratique du Congo avec la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC), au service de l’Association Solidarité Batoto Congo.
Peux-tu nous en dire plus sur l’Association Solidarité Batoto Congo ?
J’avais pour mission d’accompagner le directeur de l’association dans la gestion des affaires courantes : construction des budgets annuels, recrutement du personnel, rédaction des courriers aux institutions… Au-delà des tâches administratives, ma présence comme VSI était aussi un soutien moral pour ce directeur assez débordé par de multiples projets grandissant à une vitesse assez impressionnante.
Et sinon, au quotidien, j’étais présent chaque jour dans la « Maison des Familles ». Un projet porté par la Fondation Apprentis d’Auteuil et l’Agence française de Développement. Au quotidien, j’ai participé de près à la vie des familles que nous accompagnons… Participer à une situation de deuil, faire des visites dans les maisons des familles simplement pour saluer, donner quelques cours d’anglais aux plus jeunes qui ont une grande soif d’apprendre… Mais aussi, comme pour ma mission auprès du directeur, ma mission était très administrative : des rapports quantitatifs, narratifs, à envoyer au bailleur. Des tâches un peu rébarbatives mais très essentielles à la bonne vie du projet.

Quel étonnement as-tu vécu en arrivant dans le pays ?
J’ai vraiment été surpris de voir une population aussi jeune dans les rues, pleines de centaines d’enfants et d’adolescents. Il y a une atmosphère chantante avec cette jeunesse, quelque chose de frais et de revigorant. Aussi, dans le pays, tout le monde croit en Dieu. Il n’est pas possible de ne pas croire, être athée ne peut pas faire partie de la culture africaine. Il y a aussi la place du mariage dans le pays qui est très forte : ne pas se marier est vu comme une malédiction, et aussi, le fait de se marier veut nécessairement dire que l’on est ouvert à la vie et que l’on veut des enfants.
Et de Kinshasa, de cette grande capitale, que peux-tu en dire ?
C’est une ville incroyable, bouillonnante, qui n’arrête pas de grandir… On estime la population entre 12 et 20 millions d’habitants, c’est pour dire à quel point la ville n’arrête pas de s’étendre. C’est assez tentaculaire comme mégalopole, mais donc on voit des marges qui ne sont pas ou peu urbanisées… C’est aussi une ville avec une ambiance incroyable, une vie nocturne comme nulle part ailleurs, avec des terrasses aux musiques fortes et aux danses plutôt spectaculaires. Comme dans toute grande ville, tout ce côtoie à Kinshasa : le meilleur et le pire. Ceci dit, pour moi comme pour d’autres congolais, le soulagement venait quand nous pouvions aller au bord du fleuve Congo, qui délimite une partie de la capitale. Le calme de l’eau et sa puissance ont un effet apaisant face à la frénésie de cette ville qui ne s’arrête jamais, avec de multiples contradictions.

Tu as sûrement rencontré des difficultés, non ?
Il y a eu des moments plus durs que d’autres, notamment la fois où j’ai fait ma première crise de paludisme : la fièvre frôlait les 40°C avec une fatigue extrême, mais pour autant mes collègues m’ont beaucoup soutenu.
Je crois aussi qu’une difficulté a été de lâcher prise au niveau de ma mission concernant la notion d’efficacité. De mon propre jugement, je n’ai pas eu l’impression d’avoir beaucoup contribuer à l’évolution de l’association, mais finalement le plus important n’était pas vraiment dans ce que je « faisais » mais plutôt dans ce que « j’étais » avec mes collègues. Car aussi, le changement prend du temps.
Une autre difficulté a été d’être impuissant face aux multiples maux dont souffrent les populations, et notamment les familles que l’on accompagnait. J’avais toujours du mal à me positionner quand des jeunes me demandaient du travail, espérant que je puisse leur donner des pistes, alors que j’en étais dépourvu car plus de 60% de la population est au chômage… Et puis les situations de violences étaient multiples : violences conjugales envers les femmes et les jeunes filles, violences policières avec une corruption fortes des agents de l’ordre, violence symbolique avec des expatriés gagnant 10000 $ par mois alors qu’on payait nos travailleurs sociaux 200 $ par mois…
En ayant vécu un an en République Démocratique du Congo, quelles sont les qualités des personnes que tu as rencontrées ?
Les congolais que j’ai rencontrés sont extrêmement combattifs pour la très grande majorité. Soit on est debout, soit on est à terre, mais on ne peut pas vraiment rester assis. La situation matérielle ne le permet pas sauf pour des personnes qui profitent des richesses du pays de façon immorale à travers la corruption très présente dans le pays. J’ai été très surpris de voir que beaucoup faisait 3-4 petits boulots différents en même temps pour vivre : coursier, vendeur, cuisinier… Des mamans devant notre structure travaillaient plus de 10 heures par jour pour vendre du pain. Cela force l’admiration.
Tout particulièrement, je me souviens avoir joué tant de fois avec une jeune fille de 4 ans que sa mère avait eu à 12 ans. La situation d’abus pourrait sembler effroyable, et elle l’est. Mais quand je vois sa merveilleuse petite fille jouer avec moi et me considérer comme son grand-frère, je fais l’expérience que la vie est toujours plus forte que toute forme d’inhumanité, pour peu que l’on puisse prendre soin de ces jeunes filles.
Dans toute cette année, quels moments t’ont particulièrement marqué ?Je crois que les moments les plus émouvants que j’ai vécus ont été ceux dans la maison d’hébergement des jeunes filles-mères. Ces jeunes filles ont été victimes d’abus graves : quand elles arrivent, elles sont cassées, diminuées, atteintes dans leur dignité… Après quelques mois, elles relèvent la tête et deviennent de belles jeunes filles, pleines de joie, avec leur enfant entre les bras, après avoir mis au monde. C’est extraordinaire de voir ce chemin de vie.

Qu’est-ce que tu retiens personnellement de cette expérience ?
Je crois que ce volontariat a aiguisé en moi le sens du réel. La vie quotidienne avec des constats très simples et très durs aussi sont venus beaucoup me travailler… Quand on ne travaille pas, on ne peut pas manger… et on meurt. Alors, quel que soit la situation, il faut lever la tête, être fort, se battre, et croire en la vie, puis rire, beaucoup rire, pour oublier et pour espérer. C’est ce que font les Congolais au quotidien, c’est ce qu’ils m’ont appris, et c’est ce que je trouve admirable.

Tu es revenu depuis 2 semaines en France. Au retour d’Afrique, en revenant en Bretagne qu’est-ce qui t’a marqué dans ce retour à la vie quotidienne ?
A vrai dire, il y a beaucoup de situations amusantes qui me sont arrivées depuis le retour. Elles retraduisent bien le quotidien à Kinshasa. Typiquement, j’ai perdu mon habitude à attacher ma ceinture de sécurité en voiture car c’est quelque chose que personne ne fait dans le pays. Dans une maison, j’ai tendance à vouloir recharger directement mon portable par peur d’une coupure de courant prolongée, ce qui arrivait fréquemment à Kinshasa. Ou encore, de me poser la question pour savoir si l’eau courante au du robinet, était tout simplement… potable !
Et quelle est la suite pour toi ?
Le continent africain m’a beaucoup marqué. Je repars pour un nouveau volontariat au Sénégal avec la DCC (Délégation Catholique pour la Coopération), le même organisme d’envoi que pour la mission qui vient de s’achever. Mais il y aurait du nouveau, car je serai en volontariat pour les œuvres hospitalières françaises de l’ordre de Malte, une des branches de l’Ordre de Malte (organisation internationale caritative et ordre religieux catholique).
Je vais donc être envoyé en mission comme attaché de direction dans un hôpital de l’Ordre de Malte à Dakar au Sénégal, spécialisé en chirurgie orthopédique et en léprologie. C’est un changement d’envergure et de responsabilités dans la mission car même si c’est un « petit hôpital », il y a quand même 70 salariés. Aussi, une mission en Afrique de l’Ouest sera tout à fait différente de l’Afrique centrale : j’ai beaucoup entendu parler de leur sens de l’hospitalité que j’ai envie de pouvoir expérimenté…
Un mot de la fin ?
Pour ceux qui hésitent de faire le pas du volontariat… il faut y aller, c’est une expérience bouleversante, qui change une vie, positivement ! Et pour ceux qui le peuvent, une aide matérielle est toujours extrêmement bienvenue… Seulement 10€ suffisent pour faire manger 8 jeunes filles, leurs enfants, et tous les éducateurs de la structure de l’association pour deux jours… Il n’y a pas de petit don !
Pour faire un don :
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