Chérir la vieillesse au pays des patriarches

Quatre décennies à soigner n’ont pas réduit la soif de Geneviève de prendre soin des autres. Jeune retraitée, elle s’est envolée pour la Cisjordanie comme volontaire DCC pour apporter aux personnes âgées ses compétences d’infirmière et toute sa tendresse.

J’avais, durant ma longue carrière d’infirmière puis de cadre infirmier, côtoyé des publics divers et variés, des pathologies lourdes, des corps usés. J’ai souhaité poursuivre le chemin, là où il me semblait pouvoir être encore utile. La DCC m’a proposé un poste d’infirmière en Palestine, plus précisément à Taybeth seul village chrétien de Cisjordanie situé à 30 km de Jérusalem, à 10 km de Ramallah.

Je supposais, avant de me voir affectée à cette mission, que les établissements pour personnes âgées étaient inexistants en Palestine. De fait, ils sont rares. Un tiers des Palestiniens ont moins de quinze ans et la plupart des personnes âgées restent dans leur famille, car c’est pour les Palestiniens, une honte de placer leurs anciens dans une maison de retraite. Toutefois les circonstances politiques et économiques contraignent certains Palestiniens à émigrer dans différents pays (USA, Jordanie, Pays du Golfe, Europe), rendant alors nécessaire l’accompagnement en maison de retraite.

Dès le départ, je suis accueillie très chaleureusement par mes colocataires, mon collègue infirmier, les sœurs missionnaires du Verbe Incarné qui gèrent la maison. Rapidement, je suis présentée aux personnels et aux résidents de la maison de retraite Beit-Afram. Je vis alors mon 1er instant de panique : je ne parle pas arabe et je me demande comment je vais pouvoir assurer une prise en charge de qualité dans ces conditions.

Les résidents sont une vingtaine, surtout des femmes avec peu ou voire pas de famille, des femmes seules célibataires, veuves. Il y a Samira, Zouza, Afaf, Hanneh, Knoua, Madeha, Sami, Khader. Les histoires de vie diffèrent, les pathologies sont celles des personnes âgées : diabète, hypertension, problèmes cardiaques, Alzheimer… Tous très croyants, un temps de chapelet a lieu tous les jours, des messes sont célébrées dans la chapelle de la maison de retraite tous les dimanches.

ce sont des moments

de vie primordiaux

au soir de la vie 

Il y a peu de soins techniques mais surtout ce que je nomme, les soins d’entretien de la vie : soins du corps, soins alimentaires, soins relationnels essentiels à la vie. C’est une des dimensions de ma profession que j’adore et pour laquelle je me suis beaucoup battue en France, ce sont des moments de vie primordiaux au soir de la vie.

Je n’ai pas eu besoin de bien comprendre l’arabe. Tout est passé par le regard, le toucher, la tendresse, l’amour.  L’amour est un langage universel. « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible », et là à Taybeth il y avait cet essentiel dont parle le petit prince de Saint-Exupéry.

J’ai été très vite été adoptée, embrassée, prise dans le bras, cajolée, hélée, attendue, par les résidents et par le personnel. La demande de tendresse, d’amour me bouleverse, ils en ont tous tellement besoin, je n’ai pas eu de difficultés à donner, à soutenir, à parler avec le langage du cœur, à aimer à embrasser, à laver, à masser avec douceur ces corps vieillissants, à aider à manger en tentant de respecter leur autonomie. Mon combat « laisser faire ce qui leur est encore possible ».

Mais il a fallu que j’écoute mon propre corps et que j’interrompe ma mission plus tôt que prévue, je ne suis pas jeune. Ils sont tous tristes et moi aussi évidemment. J’ai été fêtée : gâteau, cadeaux, youyou, musique palestinienne, danses, larmes. Je suis revenue riche de tous ces moments, de tous ces gens, de leur tendresse, de leur amour. J’ai tant reçu !

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