Une « maison commune » en Tunisie

Bhar Lazreg est un quartier populaire de la banlieue de Tunis, à la périphérie des communes aisées de La Marsa et Gammarth. C’est dans une de ces rues où se côtoient quotidiennement travailleurs tunisiens et migrants subsahariens, que la fondation Kamel Lazaar a décidé d’implanter sa station d’art B7L9. Entre ses murs zébrés, bâtiment insolite dans une zone en constante construction, une belle idée a vu le jour au mois d’août : la création d’une école d’été ouverte à tous et entièrement gratuite, afin « d’inviter à l’intérieur » ces enfants qui passent beaucoup de leur temps dans la rue, entre insécurité, ennui et violence banalisée.

Mois de juillet à Tunis. La chaleur est étouffante. Mon téléphone sonne. « Cécile, es-tu disponible cet été ? On a un nouveau projet. » Depuis le mois de septembre, dans le cadre d’un Volontariat de Solidarité Internationale passé avec la DCC, je suis responsable des activités éducatives chez Caritas Tunisie. Après le ralentissement de mes activités dû à la Covid 19, j’ai de nouveau été engagée dans la mise en place de d’une école estivale. En quelques semaines, des bénévoles de tout horizon, voisins du quartier et membres d’associations caritatives, se sont réunis et organisés pour proposer un programme original aux jeunes de cette banlieue défavorisée. L’objectif était d’amener ces enfants, qui vivent majoritairement à l’extérieur, à l’intérieur d’une structure sécurisée pour y développer des règles de vivre-ensemble et de solidarité à travers des activités ludiques et épanouissantes.

Ainsi, du mercredi au dimanche durant tout le mois d’août 2020, des ateliers artistiques, éducatifs et culturels ont été offerts par une équipe motivée d’intervenants à une cinquantaine d’enfants de 5 à 15 ans. L’association Caritas, dans laquelle j’effectue mon volontariat, a quant à elle, mis en place des ateliers d’initiation à la langue française deux matinées par semaine.

L’objectif de ce projet était double. Tout d’abord, permettre un accès à la culture et à l’éducation à tous, et notamment aux plus démunis, quels que soient leur origine ou leur religion. Les enfants issus de la migration subsaharienne, majoritairement en situation irrégulière, sont souvent refusés dans les écoles publiques, et les familles ne peuvent pas assumer les frais des établissements privés. De plus, avec la situation épidémiologique en Tunisie, les cours scolaires se sont arrêtés pour tous depuis le mois de mars, sans solution alternative. Il était alors essentiel de les ramener vers une structure organisée, avec des règles collectives et des activités éducatives. Le deuxième objectif était de créer un espace de rencontre entre les différentes populations du quartier afin d’amener les familles subsahariennes et tunisiennes à se connaître à travers les liens tissés par les enfants. Une journée de clôture avec spectacle et exposition a été organisée, et les parents ont été conviés à ce moment de partage. D’autres temps de rencontre entre communautés tunisiennes et subsahariennes devraient être proposés dans le futur.

Caritas a choisi d’inscrire son action dans les propositions du Laudato Si, afin de respecter la charte de Caritas Internationalis pour une écologie intégrale, et de transmettre à chacun ce qu’il y a d’humain et d’universel dans le message du Pape François. Nous avons ainsi déterminé quatre thématiques hebdomadaires : la solidarité – déclinée sur l’axe du vivre-ensemble pour les plus jeunes – l’écologie, et plus particulièrement la biodiversité à travers son respect et sa protection, et enfin le quartier et l’école, ou comment les deux notions précédentes peuvent s’appliquer à l’environnement proche des enfants. Ces thèmes ont été abordés à travers des ateliers d’art, d’informatique, de littérature et des jeux éducatifs. Les enfants ont à la fois pu découvrir des concepts essentiels pour la construction d’un monde pacifique, mais aussi s’exprimer librement sur ces sujets. Ainsi, pour Jinen, adolescente voilée, « la solidarité, c’est la coopération et l’amour ». Pour Abdelhamid, son frère, « c’est de se comprendre même si nous sommes différents par la couleur de peau ou la langue. C’est savoir comment vivre ensemble. ». Pour Emmanuel, subsaharien récemment arrivé à Tunis, « c’est être ensemble et être beaucoup plus fort ».

Pas moins d’une vingtaine d’adultes ont collaboré à ce projet et ont contribué à en faire un succès. Pour Mariem, bénévole au centre, « c’est comme ça que se font les grands changements. Il suffit d’une toute petite action pour que cette action-là génère par la suite de plus grandes actions et ainsi de suite. Ces enfants sont les adultes de demain. C’est une petite graine que l’on a planté ». Dans cette équipe multiculturelle, où le maître-mot a sans nul doute été la générosité, les origines, les religions et les langues formaient un joli patchwork solidaire. Pour Père Albert, « on a voulu un brassage des cultures. » Les Sœurs Blanches, religieuses catholiques dont la communauté est proche du quartier, sont également intervenues, en proposant leur aide dans la préparation du goûter, élément indispensable au programme. Ce sandwich au thon, aux œufs et à la harissa, permettait à certains enfants d’avoir au moins un « casse-croûte » consistant dans la journée.  

De mon côté, j’ai mis mes compétences professionnelles d’enseignante au service de ce projet, proposant une organisation en ateliers rotatifs, et apportant mon aide dans la création et l’animation des activités. J’ai été impressionnée par l’enthousiasme et l’implication de tous les acteurs, qui ont fait don de leur temps pour ces enfants, quand il est parfois si difficile de mettre en place des projets d’équipe dans des structures plus traditionnelles. Depuis mon arrivée en Tunisie, il y a un an, j’avance sur le chemin de la spiritualité entre la découverte de la religion catholique et celle de la religion musulmane. Une fois de plus, grâce à cette belle réalisation collective à Bhar Lazreg, c’est ce qu’il y a de beau et d’humaniste dans chaque croyance qui a touché mon cœur. Je suis toujours émerveillée de voir musulmans et catholiques œuvrer ensemble à la création d’un monde plus fraternel.

« La maison commune » est un rêve qui s’est réalisé chaque matinée d’été à Bhar Lazreg. Hatem Bourial conclut cette belle expérience par ces mots : « Il y a toujours des enfants qui trainent dans les rues, et ces enfants-là, nous sommes arrivés à les inviter à l’intérieur. Nous allons continuer nos efforts dans leur direction car nous sommes là d’abord pour eux, pour les aider à approcher le savoir de manière ludique ». Un projet qui devrait donc continuer à grandir chaque dimanche de l’année… Inshallah.