Mon quotidien d’infirmière à Haïti

Solène

infirmière en Haïti

Cela fait maintenant six mois que je travaille au dispensaire Saint Antoine d’Abacou. Nous sommes deux infirmières (une sœur brésilienne et moi) ainsi qu’une secrétaire haïtienne pour assurer chaque jour 15 à 25 consultations de médecine générale, de pansement et d’urgence.  Nous nous partageons aussi les tâches administratives, d’intendance et de maintenance de ce petit centre de santé.

Nous sommes obligées de faire payer les consultations et de vendre les médicaments pour assurer la durabilité du dispensaire, car bien que nous recevions des donations de traitements et de matériel, il nous manque toujours certains produits que nous devons acheter en pharmacie de ville. Les patients n’ont généralement que très peu d’argent et essaient de négocier le prix ; alors nous faisons souvent un geste, ou bien crédit, puis ils reviennent parfois quelques jours plus tard avec des fruits en cadeau pour nous remercier.

Parfois, et surtout depuis ces derniers mois avec la sécheresse, les patients mangent très peu, une seule fois par jour et privilégient l’achat de médicaments tels que les vitamines pour compenser le manque en apports nutritionnels. Même s’ils se trouvent dans une grande misère, ils gardent une dignité impressionnante : ils restent toujours calmes, ont le sourire, sont bien habillés, propres. Bien sûr, il arrive que certains craquent, comme cette grand-mère qui, seule à s’occuper de 4 de ses petits-enfants, sans parents, sans mari, est arrivée en pleurant avec son petit-fils malade, après 5h de marche à pied.

Nous faisons aussi des accouchements même si les femmes ici accouchent plus à la maison, seules ou à l’aide d’accoucheurs locaux. J’ai eu la chance d’en réaliser un environ un mois après mon arrivée. Ce fut indéniablement le plus beau moment de ma carrière.

J’ai appris à faire des sutures ici. C’est essentiel car nous recevons beaucoup de patients victimes d’accidents de machettes, de moto, de blessures à l’issue de bagarres, d’enfants tombés qui se sont ouvert ou encore de pêcheurs qui se sont pris un hameçon dans la chair. Nous envoyons les blessures majeures à l’hôpital, les cas les plus graves nécessitant des examens ou une hospitalisation, mais il se trouve à une heure de route d’ici en voiture alors nous tentons de gérer en premier lieu l’urgence. Malheureusement, rares sont ceux qui peuvent se permettre d’aller à l’hôpital car il coûte très cher et la sécurité sociale ici est inexistante. Alors l’espoir qu’ils mettent en nous pour les guérir relève parfois de la croyance au miracle. Mais c’est aussi cet espoir-là qui permet à certains de s’en sortir, je dois l’admettre, je ne sais pas comment ! J’ai été plus d’une fois scotchée par la capacité de rétablissement des haïtiens que nous prenons en charge.

Cette expérience de volontariat avec la DCC est très intéressante dans la mesure où je suis en immersion au sein de la population locale, au beau milieu de la campagne haïtienne et je perds tous mes repères culturels. Contrairement à Paris où nous avons l’habitude d’accueillir ou de coexister avec un bon nombre d’étrangers, à présent c’est moi l’étrangère et cela va avec des avantages mais aussi des inconvénients ; clichés impossibles à défaire, représentation de l’exotisme, de la personne vulnérable que l’on va aider plus volontiers dans la rue… Il est bon d’inverser un peu les rôles et de vivre l’expérience d’essayer de s’intégrer dans un système qui m’est totalement inconnu. Je dois reconnaître que ça n’est pas facile, mais passionnant, et que j’en apprends beaucoup sur moi-même.