« Un volontaire pour pousser les séminaristes à s’immerger dans la langue française »

ENTRETIEN – Le père Lalaina, recteur du grand séminaire de philosophie de l’archidiocèse Est, à Tamatave (Madagascar), explique l’intérêt d’un partenariat avec la DCC.

Quand avez-vous commencé à penser à faire venir un volontaire au grand séminaire de philosophie de l’archidiocèse Est ?

Lorsque j’étais au petit séminaire d’Ambatondrazaka, on avait eu trois coopérants successifs, un par an, dont Gilles Reithinger qui était à l’époque jeune séminariste (aujourd’hui évêque auxiliaire à Strasbourg) et avec qui je suis resté en lien. Plus tard, lorsque je suis devenu recteur de ce même petit séminaire d’Ambatondrazaka, nous avons eu des volontaires, dont un séminariste. Donc assez logiquement, quand je suis devenu éducateur au grand séminaire de philosophie de Moramanga, en 2015, j’ai proposé au recteur, le père Séverin, de faire venir un volontaire français.

Dans quel but ?

Dès mon arrivée à Moramanga, j’ai constaté le faible niveau en français des séminaristes et j’ai pensé que la meilleure façon d’améliorer ce niveau serait la présence quotidienne d’un Français parmi nous pour obliger les séminaristes à s’immerger dans la langue française. Nous avons donc commencé, avec le père Séverin, à monter un dossier de demande.

Pourquoi vous êtes-vous tourné vers la Délégation catholique pour la coopération (DCC) ?

C’est le père Séverin qui a fait ce choix. Mais j’adhère totalement à ce choix : la DCC dépend de la Conférence des évêques de France (CEF) et c’est très important qu’une coopération se vive entre la CEF et la Conférence des évêques de Madagascar (CEM), pour rendre visible l’universalité de l’Église. C’est important aussi que le coopérant soit chrétien car il fait partie des « mpanabe » (enseignants, éducateurs) et, à ce titre, il doit transmettre les valeurs de l’Église.
Nous avons envoyé notre dossier à la DCC en 2019 mais tout a été bloqué pendant deux ans à cause du Covid ; les cours eux-mêmes ont été suspendus de mars à octobre 2020. Ce n’est donc qu’en novembre 2021 que nous avons accueilli la volontaire DCC : Madame Claire, comme nous l’appelons ici, qui est une journaliste retraitée.

Avez-vous choisi cette volontaire ?

Non, la DCC nous a proposé le profil de Madame Claire et nous l’avons accepté. Le fait que cette volontaire soit une femme est important pour assurer une présence féminine, recommandée par Rome dans tout séminaire. C’est la figure d’une mère, d’une grande sœur et c’est important aussi en vue du moment où ces futurs prêtres seront en paroisse, entourés de nombreuses femmes. Lorsque notre grand séminaire de philosophie était à Moramanga, il y avait trois religieuses qui vivait dans l’enceinte du séminaire – une s’occupait de l’intendance et une autre du secrétariat – et nous pouvions ainsi les côtoyer tous les jours. Nous avons aussi des enseignantes femmes ainsi que trois cuisinières.

Comment résumeriez-vous ce que la présence de cette volontaire vous apporte depuis dix-huit mois ?

D’abord en terme d’amélioration du niveau de français des séminaristes. La présence d’une Française qui ne parle pas le malgache nous oblige à parler français en sa présence, à célébrer en français certains jours. D’ailleurs, quand Madame Claire n’est pas là, on se remet à ne parler qu’en malgache entre nous. Les cours de français fait par un Français (et non par un professeur malgache, comme c’est le cas habituellement) aident aussi les séminaristes à se familiariser avec la bonne prononciation du français.
Par ailleurs, la philosophie qui fait partie de la formation obligatoire des futurs prêtres, est une discipline difficile. Pour des Français, il est déjà difficile de comprendre Kant, Hegel, Heidegger, Ricoeur ou Levinas, mais pour des Malgaches qui ne maîtrisent pas bien le français, c’est encore bien plus difficile ! Le volontaire a donc un rôle important pour aider les séminaristes en 3e année pour leur mémoire de philosophie de 50 pages. Madame Claire les aide non seulement à rédiger mais aussi à organiser leur pensée et à comprendre l’auteur choisi. Cette aide est indispensable afin que, lors de leur soutenance, les séminaristes aient moins de mal à exprimer ce qu’ils pensent. Donc incontestablement, depuis dix-huit mois il y a une hausse générale de niveau pour parler, lire et écrire en français.

Et sur le plan de l’interculturalité, quel est l’apport de cette volontaire ?

Sa présence est une ouverture pour des jeunes qui viennent majoritairement de la brousse et qui n’ont guère l’occasion de côtoyer des étrangers. C’est une ouverture à l’autre qui est différent, et c’est une aide pour sortir de nos traditions malgaches. Par exemple, la ponctualité, la précision, la rigueur d’un volontaire européen nous apporte beaucoup à nous Malgaches qui sommes habitués au « mora-mora » (lentement, sans se presser).

En quoi un partenariat avec la DCC vous semble-t-il important pour l’avenir du grand séminaire ?

D’abord parce que cela montre la coopération entre les Églises de France et de Madagascar. De plus, notre séminaire n’a pas de moyens financiers et, depuis quelques temps, les subsides de Rome ont tendance à diminuer. En ce sens, les liens que le volontaire entretient avec des amis de son pays et avec des organismes bienfaiteurs sont fructueux pour faire fonctionner le séminaire. Madame Claire qui connait bien l’Aide à l’Église en Détresse (AED) a pu ainsi leur demander de l’aide pour acheter des ouvrages de philosophie pour notre bibliothèque ou pour construire une porcherie en dur afin de pouvoir élever une vingtaine de cochons pour notre consommation et pour assurer des revenus au séminaire.

Recueilli par Claire Lesegretain, volontaire DCC au grand séminaire d’Analamalotra (Madagascar)