Anne-Sophie a été envoyée comme volontaire en tant que psychologue au sein de l’Instituto José Mercado Aguado, à Santa Cruz. Cette infrastructure a pour objectif de protéger et d’éduquer les enfants et adolescents de la ville. À travers un récit amusant, elle nous raconte son départ en volontariat et comment, dans l’exercice de son métier, elle a dû s’adapter à la culture et aux méthodes locales.
“Ce sera la Bolivie, Santa Cruz de la Sierra” m’annonce Jean-Claude au téléphone, après un an d’attente interminable. Oubliez les lamas, les ponchos et les flûtes de pan, moi je pars rejoindre les tarentules et les pluies diluviennes des grandes plaines de l’Orient ! Là-bas m’attendent Hermano Marcos et les adolescents accueillis dans son foyer des frères de la Salle.


Enfin, ils m’attendent… Pas tant que ça. C’est la fondation Bolivia Digna qui a fait la demande de volontaires. Pourquoi ? Bonne question… J’ai vite pris le parti d’y apporter ma propre réponse. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, qu’ils m’ont demandé de venir. Ma question, celle qui me guidera, n’est pas si simple : Comment aider ces jeunes, en rupture avec leur famille, à tracer leur propre route dans le monde ?
Pas si simple mais essentielle : placés dans le foyer par les services sociaux, ils n’y seront accueillis que jusqu’à leurs 18 ans. Après ça, c’est le grand bain. Leur apporter un lieu d’écoute et d’expression, renforcer la confiance en soi, restaurer les relations affectives, accompagner les projets professionnels apparaissent vite comme des priorités. En théorie du moins. En pratique c’est autre chose.

Les moyens sont inexistants, mais la liberté de travail me semble infinie. Armée de trois bouts de papiers, google traduction à ma rescousse, je conçois donc mes nouvelles activités thérapeutiques. Euuuh… Thérapeutiques ou éducatives ? La préparation fut l’occasion de me sentir libre, la mise en application fut un rude retour à la réalité.
Les psys ici, sont plus ou moins éducateurs. Sauf que moi, je ne suis pas éducatrice. Je me stresse, erreur de casting me dis-je, puis je me calme et je relativise : les éducs du foyer sont avocat et restaurateur. Mon regard, mon étonnement, après tout, c’est bien ce que j’ai à leur donner. Je garde donc le cap de mes ateliers. Sauf que les gamins du foyer, eux non plus, n’ont pas demandé à ce qu’une éduc-psy débarque dans leur quotidien.
Mais alors que me reste-t-il ?
L’essentiel.

Ajoutons à cela qu’ici la coordination et la communication sont… informelles. La notion de rendez-vous… relative. Le rapport à l’autonomie dans le travail social… de quoi parle-t-on ? Et pour finir il y a l’éducation : « Les ados ici, ils se doivent d’être timides, ils ne s’expriment pas » me dira un jeune prof de théâtre. Résultat, si je résume le projet institutionnel : on leur court après, on les traîne et on sermonne. De quoi faire voler mes grands principes de psy en éclat, avec mon cadre thérapeutique et tout le reste.
Mais alors que me reste-t-il ? Quand on a fait table rase, on se retrouve avec quoi ? L’essentiel. Le sens même de mon métier, ce pour quoi je l’avais choisi. Ce que je commençais à perdre, dans les carcans d’un CHU français. Les rapports humains, complexes, difficiles, enrichissants. Écouter. Inventer. Ces petits bouts de mon volontariat que j’espère ramener dans mes valises, lorsque le moment sera venu.
