Au Paraguay : accueillir la simplicité

ENTRETIEN – Tout juste retraité, Rémy a rejoint la Fundación Jesuitas, qui s’occupe de soutenir les œuvres sociales des Jésuites au Paraguay. Volontaire pour un an à Asunción, il se réjouit de pouvoir vivre avec simplicité, profitant de sa mission pour se mettre au service et faire de riches rencontres.

Bonjour Rémy ! Tu es arrivé au Paraguay en septembre (2022), quelles ont été tes premières impressions ?

J’ai été profondément marqué par l’accueil qui m’a été fait. Tant par la fondation jésuite que j’ai rejointe, que par la population. Dans le cadre de ma mission, on m’a tout de suite mis très à l’aise et j’ai senti mon indépendance respectée. Quant aux Paraguayens, j’ai été profondément touché par leur gentillesse et par leur bienveillance.

Tu étais donc attendu ?

Oui et non. Au début de ma mission, on ne me disait pas clairement ce que l’on attendait de moi. Le poste n’était pas clairement défini. J’ai senti au départ qu’ils imaginaient que je prendrai un rôle important parce qu’ils savaient que j’ai longtemps été à un poste de direction d’un grand groupe. Je leur ai fait comprendre que je suis là pour les aider, que je suis à leur service.

J’ai rejoint l’équipe projet. Il s’agit d’identifier les besoins, pour ensuite rechercher les financements. Malheureusement, comme il n’y avait pas d’état des lieux de ce qui avait été fait jusqu’alors, je manquais de points de repère. Comme j’ai constaté qu’il y avait peu de relations avec les institutions publiques françaises, européennes ou internationales, j’ai creusé dans cette direction. En plus de contribuer à l’élaboration des projets, j’ai souvent dû effectuer des traductions en anglais, nécessaire pour beaucoup de projets.

Je leur apporte volontiers quelques conseils. Ils font appel à moi pour ce qui relève de procédures parce que ce n’est pas leur point fort. Je le fais même si c’est un travail administratif pas très drôle. Mais Je préfère me mettre en position de collaborateur plutôt que d’initiateur, car je suis là pour un temps limité et avec une connaissance limitée de la situation.

Et bien que de passage, tu te sens accueilli ?

Les Paraguayens que je rencontre se montrent attentionnés. Et ce que je ressens surtout, c’est beaucoup de respect. Pas uniquement vis-à-vis de moi. Je vois bien que d’autres étrangers font le même constat. Ici, les gens témoignent un respect profondément humain. On se salue facilement dans la rue même si on ne se connaît pas.

Ce respect est-il propre à un groupe social ou est-il partagé ?

C’est une culture partagée. Comme dans tout pays d’Amérique latine, la société est très segmentée. Une part de la population est très riche et cela se sent. La classe moyenne est peu nombreuse et beaucoup de gens vivent dans la précarité. On estime à 25 % la population vivant sous le seuil de pauvreté. En deux cents mètres, on peut passer d’un bañado, un quartier pauvre régulièrement inondé, à un quartier résidentiel. Pour autant, tout cela cohabite. J’ai vécu dans une grande ville d’un pays voisin. J’y ressentais parfois une certaine tension. Je me serais donc attendu à ce que ce soit plus conflictuel. Mais au contraire, je vois rarement de l’animosité entre eux. Il y a une forme de tranquillité. C’est un pays très paisible, ce qui fait que l’on s’y sent très vite très bien.

Pour autant, il peut y avoir de la violence, en général liée à la drogue : des jeunes qui ont besoin d’argent pour leur consommation, des luttes entre des réseaux de dealers dans les quartiers pauvres.

Tu te sens à l’aise même avec ceux qui vivent dans la misère ?

Je n’aime pas parler de misère. Oui, les gens peuvent être très pauvres. Mais quand tu vois ces enfants qui sourient, rigolent, manifestent de la curiosité… Il y a une énergie et une joie de vivre. Les regards des gens sont gais. Quand tu parles avec les mères de familles, elles ne se plaignent pas, elles gardent le sourire. Elles dégagent une évidente dignité. Ces gens-là sont admirables. Ils ne te font pas ressentir la misère.

Venant d’un pays aisé, tu ne te sens pas en décalage ?

Non, cette différence est plutôt source de motivation. De manière générale, vivre des situations nouvelles me motive. Je vais dans les quartiers pauvres, ce qui surprend les gens des classes plus aisées. Si je l’avais fait en gardant le même train de vie, je crois que ces pauvres que je rencontre m’auraient respecté de la même manière. Mais je veux être en phase avec le monde dans lequel je vis. Et le volontariat le permet. Je suis dans un milieu de gens simple. J’habite en bordure d’un quartier pauvre d’Asunción, en colocation dans une maison avec cinq Paraguayens qui ont entre 25 à 35 ans, ce qui est quasiment une nouveauté pour moi. Je perçois l’équivalent du salaire minimum. Je m’habille simplement. Je mange des choses très simples dans de petits restaurants pour l’équivalent de deux euros. Et je me déplace à vélo, malgré la chaleur et le dénivelé, ce qui est assez incongru ici, au point que j’ai été interviewé par une radio nationale !

Tu vis donc un certain dépouillement ?

J’ai tout de même un certain confort : le bâtiment dans lequel je travaille est climatisé. Mais arriver d’une façon simple, et vivre simplement, facilite la relation avec les autres. Car cela me permet d’être plus à l’aise. Le vélo par exemple, fait que les gens me reconnaissent dans la rue. Je trouve même que c’est assez facile. On se détache assez vite de plein de choses. Le camembert ou le saucisson ne me manque pas plus que ça ! Le fait que ce soit pour un temps limité, joue peut-être. Et je serai évidemment heureux de les retrouver un jour, mais ça ne me manque pas au quotidien. Et non seulement cela simplifie les choses mais j’en éprouve un certain plaisir. C’est agréable à vivre.

Est-ce que c’est aussi pour toi l’occasion d’un dépouillement dans la manière de concevoir les choses ?

Je découvre un tout autre rapport au temps. Même si j’ai déjà vécu en Amérique latine, il m’a fallu un petit moment pour accepter de prendre son temps. Il y a une phase ou il faut un peu prendre sur soi. Et encore maintenant, je peux avoir l’impression de ne pas avoir fait grand-chose au cours de la semaine. Mais au final, l’essentiel est dans la rencontre. La valeur de la mission se trouve dans les relations que l’on peut créer. Quel que soit le contexte, cela demande toujours du temps. Avec les populations qui mixent en permanence l’espagnol et le guarani, cela demande évidemment de ne pas se presser, pour eux comme pour moi. Par chance, le rapport à la temporalité le permet : ici, l’on prend le temps.

L’on prend aussi le temps dans le travail ?

Oui, et c’est parfois déroutant. Ce que l’on planifie n’aura jamais lieu à la date qu’on avait projeté. Je suis bousculé dans mes repères. Dans les quartiers que l’on accompagne pour des micro-projets, c’est très difficile d’avoir de la continuité. Si tout le monde est enthousiaste, il y a un énorme décalage entre les idées que l’on projette et la réalité. Cela peut être décourageant, d’autant que je me prends vite au jeu de me projeter. Ici, j’apprends à ne pas me laisser emporter par ce que j’imagine. À accepter de beaucoup répéter. À accepter d’avancer doucement, de rester modeste. C’est aussi une forme de simplicité, à laquelle je suis invité.

Le Paraguay est donc le pays de la simplicité ?

D’une riche simplicité. Il y a un proverbe pour cela : « El Paraguay, hay que sentirlo ». On dit qu’il n’y a pas grand-chose à voir, mais beaucoup à ressentir. Ce n’est pas un pays touristique. Pour autant, la population est fière de son histoire, marquée notamment par les guerres contre les pays voisins. La religion occupe aussi une place très importante. Histoire et religion sont liées, car les jésuites ont joué un grand rôle dans l’émergence du Paraguay. Et la culture guarani, issue de la population indigène reste très prégnante. Je trouve ce pays très attachant !

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