Entretien 2/2 – Alix et Bruno sont responsables de maison de la colocation Lazare à Mexico. Après avoir une première partie d’entretien sur la vie de cette colocation, nous abordons l’accompagnement plus large proposée par la fondation Lázaro.
Première partie de l’entretien – Une coloc’ Lazare à Mexico : vivre avec les plus pauvres
Vous avez mentionné le fait que la fondation couvre d’autres activités. Vous avez une autre casquette ?
Alix : la fondation Lázaro comprend non seulement un appartement avec 10 colocataires (5 gars de la rue et 5 jeunes pro), une auberge temporaire pour 3 personnes mais aussi un centre d’aide pour les personnes en exclusion sociale des environs. Dans le centre ont lieu des ateliers (du chant, de la sophrologie, du yoga, de la théologie chrétienne…) et des formations à l’hygiène, à la gestion de conflit, à la recherche d’emploi… Il y aussi le Comedor social qui est une sorte de soupe populaire. Et enfin un dispensaire en projet, pour proposer des soins gratuits, notamment concernant le diabète et la tension.
Bruno : On a en effet une double casquette : gestion de la coloc et coordinateurs de l’action sociale du centre d’aide. Cela a nécessité d’apprendre à mettre des limites car c’est très mexicain d’avoir beaucoup d’énergie et de se lancer dans pleins de projets à la fois. C’est un réel défi de se recentrer sur le cœur de l’esprit Lazare.
Alix : une part de notre mission consiste aussi à faire de la recherche de fonds. En répondant à des appels à projet, en se faisant connaître de la communauté française ou internationale, des paroisses, des universités, des entreprises et en mettant en place des activités génératrices de revenus comme la création d’une sorte d’Emmaüs ou la vente de jus d’orange.
Bruno : ces activités sont aussi importantes pour la réinsertion des personnes issues de la rue. Dans les coloc’ Lazare, chacun paie un loyer. Mais au Mexique, les personnes issues de la rue ne perçoivent pas d’aides sociales, elles doivent donc travailler. Pour cela on s’appuie sur des partenaires et sur nos propres activités.

Vous contribuez à répondre à de nombreux défis. J’imagine que le fait d’être d’une autre culture rendent les choses encore plus ardues ?
Bruno : la communication est un vrai combat pour moi. Alors que je suis plutôt franc, dans la culture mexicaine, il faut beaucoup mettre les formes pour dire les choses. On ne peut pas dire non et il faut beaucoup de détour pour ne pas blesser les colocs et collaborateurs.
Alix : Ceci étant, les Français sont très appréciés au Mexique, car nous ne sommes ni Américains, ni Espagnols. Ils apprécient notre esprit révolutionnaire ! On voit bien que les gens ont envie de découvrir la culture française. Et de manière générale, les relations, même professionnelles, sont plutôt amicales et détendues.
Bruno : On a parfois des soucis avec l’autorité d’arrondissement qui nous met pas mal de bâtons dans les roues. Ils ont par exemple enlevé un compost que l’on avait créé, ils nous empêchent de vendre nos jus d’orange sur le trottoir… Et l’on rencontre des difficultés pour obtenir certaines choses qui relèvent de leur responsabilité comme la gestion des ordures ou des inondations voisines. Et puis il y a beaucoup de corruption, le moindre événement est l’occasion de réclamer un bakchich.
Dans l’accompagnement des colocataires issus de la rue, quelles difficultés rencontrez-vous ?
Alix : Il est assez difficile de trouver une juste place entre les responsabiliser et respecter leur liberté. Ils manifestent beaucoup de volonté sur le moment, mais il faut sans cesse relancer pour que ce ne soient pas des paroles en l’air, leur redonner confiance en eux, leur redonner leur estime.
Bruno : Pour moi qui ai une personnalité très rigoureuse, c’est dur à accepter. J’ai souvent le sentiment de perdre du temps. Par exemple j’ai proposé plusieurs opportunités professionnelles à un accueilli. Il ne s’était pas présenté au premier entretien, et après avoir fait le point avec lui et obtenu un nouvel entretien, de nouveau il ne s’y est pas rendu. Ce genre de situation se produit très souvent malheureusement.

Qu’avez-vous quitté en vous engageant dans l’aventure du volontariat ?
Alix : Pour ma part je suis sortie du chemin classique de la carrière médicale. J’ai pris certains risques de ce côté, même si la réflexion a été longuement murie. Je dirais aussi que j’ai quitté mon confort affectif : amis, famille, moyens de ressourcement. Il a fallu tout réinventer, accepter de découvrir de nouvelles fragilités mais aussi de nouvelles forces.
Bruno : En me lançant dans cette aventure, j’ai par exemple mis de côté mon besoin de me ressourcer régulièrement seul dans la nature (difficile dans une des plus grandes villes du monde !) et j’ai dû quitter le groupe de musique que j’avais créé (bizarrement je n’ai pas encore réussi à en retrouver un sur Mexico…).
Et qu’avez-vous trouvé ?
Alix : Ici à Mexico chaque jour est une aventure ! Nous savons rarement avec certitude comment va se dérouler notre journée, même si on essaie de tout planifier. On apprend alors le lâcher prise, la gestion du temps différente, la communication interculturelle, etc. C’est une plongée dans un monde nouveau. En couple également il s’agit de se redécouvrir dans un nouvel élément, apprendre à travailler ensemble, trouver chacun ses besoins et les ajuster ensemble.
Bruno : Pour ma part, j’ai découvert une activité professionnelle qui me plait beaucoup, et une manière de travailler extrêmement différente de la nôtre, avec ses côtés positifs et négatifs.
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