Claire réalise sa mission dans le Grand séminaire de philosophie de Moramanga à Madagascar où les séminaristes suivent une formation en philosophie pendant trois ans pour obtenir une licence et se préparer à la prêtrise. Sur place, Claire leur donne des cours de français. Elle évoque l’importance de cette langue pour la société Malgache.
En tant que coopérante DCC au grand séminaire interdiocésain de Moramanga, à 110 km à l’est de Tananarive (Madagascar), j’enseigne le français à 64 séminaristes en philosophie, âgés de 22 à 32 ans et répartis en 3 classes : 23 en 1ère année, 27 en 2e année et 14 en 3e année. De manière générale, leur niveau en français est très médiocre : ils ont pourtant tous commencé à apprendre la langue de Molière dès le début du primaire et ont tous suivi au moins onze ans de cours de français.
Mais en brousse, trop souvent, les instituteurs sous-payés sont insuffisamment formés et les jeunes n’ont aucune occasion de parler français. Selon les statistiques de l’Académie malgache, dans toute l’Île, 0,57 % de la population parle uniquement le français, 15,87 % le pratiquent occasionnellement et 83,61 % ne savent que le malgache. Depuis des décennies, des observateurs tirent la sonnette d’alarme à propos des conséquences désastreuses de cette perte du français mais sans résultat.
Le « règne » du président socialiste Didier Ratsiraka (1975-1993) a largement contribué à cette baisse de niveau en imposant la « malgachisation » ! Une erreur que Madagascar paye cher aujourd’hui car les jeunes, même s’ils ont obtenu le Bac, n’ont pas le niveau suffisant pour suivre des études universitaires, obligatoirement en français. Cette perte de l’utilisation du français (et ne parlons même pas de l’anglais !) chez les jeunes générations freinent également les recrutements dans les métiers du tourisme et de service en lien avec l’étranger, notamment les centres d’appel téléphonique, nombreux à Madagascar. Depuis 2010, le français est pourtant constitutionnellement la deuxième langue officielle de Madagascar.

Mon rôle auprès des séminaristes consiste donc à revoir les fondements grammaticaux (construction d’une phrase, du passé composé, utilisation des pronoms personnels et relatifs, des prépositions, etc.), à les faire participer de manière interactive, à les aider à dépasser leur timidité à parler notre langue. Sachant mon expérience professionnelle, le recteur du séminaire m’a proposé de leur donner une trentaine d’heures de cours de journalisme, ce qui est une autre façon de les faire parler et écrire en français.
La compréhension du français est, en effet, indispensable pour que ces candidats au sacerdoce puissent poursuivre leurs études car il n’existe aucun livre de philosophie et de théologie en malgache.
La compréhension du français est, en effet, indispensable pour que ces candidats au sacerdoce puissent poursuivre leurs études car il n’existe aucun livre de philosophie et de théologie en malgache. Mon but est donc de leur permettre d’être capables d’exprimer correctement leurs idées, tant à l’oral qu’à l’écrit, et d’analyser et de comprendre des textes philosophiques.
Il me revient aussi d’aider les séminaristes de 3e année à rédiger leur mémoire de philosophie de 50 pages et qui porte souvent sur des sujets complexes tels que : « L’éthique de responsabilité chez Ricoeur » ; « La recherche du bonheur chez Épicure » ; « Les itinéraires de la pensée hégélienne » ; « L’impératif moral comme fondement du respect de la personne humaine chez Kant » ; La responsabilité de l’autre chez Levinas » ; « Le désir et la sublimation chez Freud »… Ces thèmes difficiles, qu’ils choisissent eux-mêmes (alors que bon nombre d’entre eux peinent à comprendre un texte simple), ne sont pas sans m’interroger. Ne devraient-ils pas opter pour des sujets et des philosophes plus accessibles, plus concrètes ? Ne pourraient-ils pas travailler sur les réalités sociétales et pastorales de leur pays ?

J’ai également été mise à contribution pour donner deux heures hebdomadaires de cours de français à sept « régents » (séminaristes ayant terminé la philosophie et en stage pendant deux ans à la cathédrale de Moramanga avant d’entrer en théologie). De même, dès mon arrivée à Moramanga, j’ai été sollicitée par des congrégations religieuses désireuses d’améliorer le niveau en français de leurs novices : je me rends donc tous les 15 jours chez carmélites (6 novices) puis chez les carmes (21 novices).
Dans ces différents lieux, je n’ai à ma disposition qu’un tableau noir, des craies, et les ouvrages de grammaire et d’exercices achetés avant de partir. On est loin des outils techniques et pédagogiques performants dont disposent les enseignants en France.