Mirna, Carmen et Nabil sont tous les trois volontaires internationaux de réciprocité (VIR). Arrivés du Liban en France en septembre, ils donnent un an de leur vie pour contribuer à une société plus solidaire. Dans cette interview à trois, ils nous partagent ce qu’ils vivent dans ce temps de mission.



Bonjour Mirna, Carmen et Nabil. Tous trois Libanais, vous viviez au Liban, qui traverse sa troisième crise économique la plus marquante : que vous pouvez nous dire de l’ampleur de celle-ci et de son impact sur la vie de la population libanaise ?
Carmen : La situation au Liban est très compliquée. C’est une des raisons pour lesquelles j’étais heureuse de partir en France. Avant, 1 dollar correspondait à 1000 livres libanaises, maintenant, c’est 30 000 livres libanaises : la monnaie a perdu sa valeur, tous les prix ont augmenté, mais les salaires sont toujours les mêmes. Après l’explosion du port de Beyrouth en 2020 les gens ont perdu l’espoir, et avec cette crise qui s’ajoute, les problèmes s’accumulent.
Nabil : En effet, cette situation est dure à vivre, et à comprendre aussi, même pour un Libanais. Cette crise a des répercussions sur tous les aspects de la vie de tout le monde : 70% de la population libanaise est sous le seuil de pauvreté. On ne peut plus se permettre d’acheter des produits importés. Cela pose un vrai problème car en tant que libanais nous étions habitués à vivre de ce qu’on ramenait de l’étranger : par exemple en matière d’agriculture on n’est pas autosuffisant. En fait on travaille pour survivre, on ne travaille plus pour vivre !
Mirna : Comme disent Nabil et Carmen, c’est toujours de mal en pis malheureusement. On ne voit pas d’horizon pour l’avenir. Nos besoins fondamentaux ne sont plus pourvus, l’électricité et internet sont trop chers. Dans ces moments difficiles, venir en France me fait grandir, me donne l’occasion de prendre du recul pour retrouver la joie, la motivation de la jeunesse que j’avais perdu au Liban.
Je suis vraiment reconnaissante envers la DCC de m’avoir permis de vivre cette expérience et de m’accompagner tout au long de la mission
Vous avez, malgré cette situation difficile, trouvé la motivation et la confiance nécessaire pour devenir Volontaires Internationaux de Réciprocité. Comment cette opportunité s’est-elle présentée à vous ?
Mirna : C’est une dame qui travaille chez France Volontaires qui m’a fait connaître la DCC, et j’en suis très contente : cette expérience de VIR est vraiment unique et différente. Le statu quo Libanais étant vraiment compliqué, surtout au niveau économique, je pense que sans la DCC qui a facilité ce projet, je n’aurai pas eu la chance de vivre cette expérience !
Carmen : Comme Mirna, j’ai connu la DCC grâce à France volontaires. J’ai aussi fait beaucoup de bénévolat au Liban et étant quelqu’un de sensible, je voulais me lancer un défi en partant en France. Je suis vraiment reconnaissante envers la DCC de m’avoir permis de vivre cette expérience, d’avoir facilité les démarches, et de m’accompagner tout au long de la mission.
Nabil : Quant à moi, j’ai découvert la DCC par hasard et ce qui m’a vraiment donné envie de devenir VIR c’est l’expérience riche d’interculturalité que ça représente, je ne voulais surtout pas rater l’occasion de vivre ça.

La DCC, convaincue de la nécessité de vivre la solidarité de manière réciproque, vous a confié une mission en France, tout comme à 15 autres VIR issus de pays en développement. Quelle est la vôtre ?
Carmen : Ma mission est auprès du service catholique de l’Essonne. Je suis chargée de sensibiliser les jeunes migrants du “Young Caritas” à la solidarité et à l’écologie. Il y a vraiment une réalité d’inactivité chez ces jeunes, qu’il faut réveiller. Je me charge aussi parfois des tâches administratives.
Mirna : Je suis à l’Arche près de Toulouse et j’aime beaucoup ma mission. Je n’avais jamais travaillé avec des personnes handicapées et c’est génial ! L’ambiance est vraiment très familiale. Le fait que ce soit aussi divers enrichit l’expérience. En tant que jeune Libanaise, j’ai eu le sentiment de retrouver la joie qu’on avait perdue au Liban !
Nabil : Et moi, je suis en service civique au hameau Saint-François à Draguignan, une asso’ qui accueille des personnes en situations précaires et qui les accompagne dans leur vie quotidienne. Le côté humain est très fort : des liens se créent continuellement au hameau. J’aime aussi découvrir la biodiversité que je n’ai pas au Liban grâce aux activités agricoles.
Arriver dans un autre pays, c’est évidemment découvrir un nouvel environnement, de nouvelles manières de faire et d’être. Ces premiers mois en France, ont sûrement dû être parfois déroutants : quelles ont été vos surprises ?
Mirna : Pleins de choses ! Mais le plus flagrant pour moi c’est qu’en France on sent que l’Etat aide. Le fait de savoir que l’État, les mairies, existent et aident est vraiment nouveau pour moi. Chez nous c’est beaucoup moins le cas ! De plus, Les droits de l’homme, du salarié, sont mieux respectés ici.
Nabil : Quant à moi, ce qui m’a frappé, c’est le contraste général avec ce que je vivais au Liban. Que ce soit la manière de penser, d’être, les infrastructures, les paysages, etc ! Mais aussi de voir les gens autant organisés : j’ai en effet été très étonné de voir quelqu’un qui avait déjà prévu un rendez-vous trois mois à l’avance : la notion de « consulter son agenda » est vraiment nouvelle pour moi !
Carmen : Je dirais que c’est le mode de travail qui m’a surpris : les français font très bien la séparation entre vie professionnelle et vie personnelle. Je trouve que c’est chouette car au Liban, on mélange un peu ces deux vies. Il y a aussi la longueur des délais administratifs qui m’a beaucoup étonnée ! Au Liban, on connaît toujours quelqu’un qui peut accélérer la procédure ! (Rire)
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Quel a été le défi en travaillant à l’étranger, à quoi avez-vous du faire face ?
Mirna : Au début, c’est que j’entendais les catastrophes du Liban, et je pensais à ma famille qui y était restée, même si je sais que je n’aurais rien pu changer en restant avec eux. La langue « familiale » me manque un peu aussi : j’ai étudié un français très académique donc c’est dur de ne pas connaître toutes les nuances du langage « familier ».
Carmen : Les premiers mois, c’était compliqué. L’adaptation a été longue et je ne me sentais pas assez active. Heureusement ça a changé très vite car j’en ai discuté avec mon tuteur qui a trouvé des solutions très rapidement. D’autre part, comme pour Mirna, être loin du Liban et de mes proches est aussi un aspect difficile.
Nabil : C’est un vrai défi. Parce que comme Carmen et Mirna, je suis loin de ma famille, de mes amis, et qu’au Liban j’avais vraiment un réseau de copains à qui j’étais très attaché. Même si c’est difficile d’être loin de ceux que j’aime, ça reste une opportunité très bénéfique et je compte en tirer le maximum !
Quel est votre ressenti sur vos missions, ce qu’elles vous apportent et qu’elles apportent à l’organisme dans lequel vous œuvrez ?
Nabil : Etre présent ici est une expérience hors du commun, j’ai rencontré des personnes qui sont maintenant comme une famille pour moi. Je profite de cette opportunité pour me concentrer sur mon avenir : il y a pleins d’idées ici qui pourraient être très bénéfiques à la population libanaise. D’autre part, il y a toujours de quoi se replonger dans la spiritualité ici, et j’avoue que depuis que je suis là je me suis beaucoup rapproché de la foi.
Carmen : Quant à moi, comme au travail je suis entourée de gens mariés, avec des enfants, et qu’il n’y a pas beaucoup de jeunes ici, je sens que ça me fait devenir plus adulte, plus mûre.
Mirna : L’Arche m’apporte vraiment la joie dont j’avais besoin et une plus forte confiance en moi. J’ai aussi découvert ici de nouveaux talents. Cela m’a permis de réaliser que je pouvais agir dans la société. De mon côté, j’apporte ma culture : quand je me présente, on me parle souvent de la cuisine libanaise par exemple. Je sens que la présence d’une étrangère à l’Arche est une richesse : c’est amusant de voir les gens à l’Arche essayer de me parler Arabe. En fait, comme je m’épanoui, je peux leur apporter de nouveaux horizons et je leur permets de s’ouvrir : c’est ça la richesse du dialogue interculturel.

