Des volontaires de la Délégation Catholique pour la coopération envoyés par l’Eglise de France sont actuellement en mission de solidarité au Maroc, à la demande de l’Eglise locale. Chargé des relations avec eux, Christophe Roucou, prêtre de la Mission de France et enseignant à l’Institut catholique de la Méditerranée, a eu la possibilité d’aller leur rendre visite en fin d’année dernière. Il donne ici quelques échos de ce que vit la petite Eglise catholique au Maroc.
Le Maroc compte aujourd’hui plus de 36 millions d’habitants dont 87 000 étrangers originaires à parts égales d’Europe et d’Afrique subsaharienne. Ces derniers sont en majorité des étudiants ou des migrants. L’économie du pays reste fortement axée sur l’agriculture, l’exportation des phosphates et le tourisme constituent des sources importantes de revenus. La modernisation de l’économie est visible : première centrale solaire la plus importante du continent africain, ligne de TGV Casablanca Tanger… La constitution marocaine définit l’islam, l’arabité et l’amazighité (langue et culture berbère) comme « composantes fondamentales de l’identité du peuple marocain ». L’islam est la religion de l’Etat : le roi Mohammed VI est « commandeur des croyants ». La liberté des cultes est garantie et le prosélytisme interdit.
Accueillant le pape François en mars 2019, devant la tour Hassan, à Rabat, le roi a déclaré : « Les trois religions abrahamiques n’existent pas pour se tolérer, par résignation fataliste ou acceptance altière. Elles existent pour s’ouvrir l’une à l’autre et pour se connaitre, dans un concours vaillant à se faire du bien l’une à l’autre. »
La diversité de la présence chrétienne sur des siècles
La présence du christianisme en Afrique du Nord est avérée dès la fin du IIème siècle et l’on en retrouve des traces antiques avant l’arrivée de l’islam. Après l’implantation de l’islam au Maghreb, de petites communautés chrétiennes ont toujours subsisté jusqu’au XIIIème siècle. En 1219, du vivant même de saint François d’Assise, les premiers franciscains sont entrés au Maroc à la demande du sultan de Marrakech pour assurer la liberté de culte de ses captifs. Du XIVème au XVIIème siècle, les missionnaires espagnols ont continué à exercer leur apostolat parmi les captifs chrétiens.
En 1923, Pie XI crée deux vicariats apostoliques : un à Rabat, pour la zone du protectorat français et un à Tanger, pour la zone du protectorat espagnol et la zone internationale de Tanger. En 1955, 200 églises ou chapelles étaient à la disposition des 500 000 Européens du Maroc.
Dans les années soixante et soixante-dix, un intense travail de dialogue interreligieux s’est mis en place. Un événement particulièrement important de l’histoire de l’Eglise au Maroc et du dialogue islamo-chrétien a été la visite du pape Jean-Paul II à Casablanca, le 19 août 1995 pendant laquelle il a rencontré 80 000 jeunes Marocains au stade Mohammed V.
Les années soixante-quinze à quatre-vingt-dix ont vu le départ massif des chrétiens du Maroc avant le départ de nombreuses congrégations religieuses et la fermeture de nombreuses églises. Mais, au début des années 2000, l’arrivée d’étudiants subsahariens en grand nombre, dont des chrétiens, a donné un nouveau souffle aux communautés chrétiennes tant catholiques que protestantes. On estime que 30 000 chrétiens vivent au Maroc : environ 20 000 catholiques et 10 000 protestants.
Présence et témoignage de l’Eglise catholique au Maroc aujourd’hui
L’Eglise catholique comprend deux diocèses : celui de Rabat dont le cardinal Cristobal Lopez Romero est archevêque et celui de Tanger, en attente d’archevêque.
Je voudrais ici témoigner de ce que j’ai vécu la nuit de Noël à Oujda, à la frontière (fermée) avec l’Algérie. Pour la messe de 18 heures, plus de quatre-vingts étudiants subsahariens étaient rassemblés dans l’église, mais aussi plusieurs Marocains, un couple islamo-chrétien et, dans le presbytère et les dépendances de cette église près de soixante jeunes migrants en majorité musulmans accueillis par le père Antoine Exelmans, curé et vicaire général, un prêtre kenyan, trois religieuses et deux bénévoles. Le couvre-feu à 20 heures n’avait permis qu’un très bref moment pour quelques souhaits, accompagnés de gâteaux et chocolats pris rapidement dans le fond de l’église. Puis, le repas de Noël, offert par une bienfaitrice marocaine, a été pris ensemble par les jeunes migrants musulmans et les trois prêtres. Ces jeunes, qui arrivent dépouillés de tout, marqués dans leurs cœurs et leurs corps par le trajet et les violences subies, trouvent là un lieu pour se poser, reprendre souffle, penser à la suite… Dans la nuit de Noël, sous le couvre-feu, dans des rues désertées, certains ont frappé à la porte et elle leur a été ouverte par le père Antoine !
Une Eglise accueillante
Le Maroc est aujourd’hui devenu un point de transit vers l’Europe et un pays d’accueil pour un nombre croissant de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile et de réfugiés. Caritas estime à 80 000 le nombre de migrants subsahariens aujourd’hui présents sur le sol marocain. L’Eglise du Maroc, via Caritas Maroc et les paroisses, apporte son soutien aux migrants souvent démunis et dans des situations très précaires. Parmi ces migrants, de plus en plus de femmes seules, enceintes ou avec de jeunes enfants, beaucoup de mineurs non accompagnés (MNA) qui ont vécu des traversées terribles depuis leurs pays d’origine et sont la proie d’un trafic d’êtres humains. Les migrants sont parmi ceux qui souffrent le plus des conséquences de la pandémie. Alors, des chrétiens ont prix des initiatives, par exemple pour la distribution de repas, d’où des queues de personnes subsahariennes devant la cathédrale de Rabat, au grand étonnement des autorités locales !
Une Eglise au service du pays
Selon les propres mots de son archevêque, l’Eglise locale se veut être une Eglise pour le maroc et les Marocains comme l’écrivait le cardinal Cristobal Lopez Romero en octobre 2020 : « C’est à cela que je vous appelle : à vivre note vie chrétienne, selon le projet de l’Evangile, dans cette Eglise qui est au Maroc et qui veut être Marocaine du Maroc ». Cela se traduit de plusieurs manières. A travers l’Enseignement catholique au Maroc (ECAM) regroupant douze écoles, 20 000 élèves dont plus de 98% des élèves et la quasi-totalité des enseignants et des responsables sont des Marocains de confession musulmane. Le projet éducatif met l’accent sur la dignité de la personne humaine, l’apprentissage de la vie en société fondé sur des valeurs de justice, de paix et d’altruisme et, enfin sur le développement d’une méthode pédagogique active permettant à l’enfant d’être artisan de sa propre formation. Il faut également citer d’autres formes de services dirigés vers la population marocaine. A Meknès, en pleine médina, une petite fraternité de franciscains accueille des centaines de jeunes Marocains pour du soutien scolaire. Tous les enseignants sont des bénévoles marocains. Dans plusieurs localités des religieuses sont infirmières dans des hôpitaux (Tétouan, Midelt, etc.) à Temara, des filles de la Charité ont un centre de soins spécialisé pour les grands brûlés.
Bien d’autres exemples pourraient être donnés de ce service et cette relation quotidienne entre des religieuses et des religieux et le peuple marocain !
Une Eglise engagée dans la formation des nouvelles générations africaines.
Dans les grandes assemblées dominicales à Rabat ou a Casablanca comme dans les petites communautés dispersées dans les nombreuses villes universitaires du pays, la majorité des fidèles sont d’origine subsaharienne. Parmi eux, de nombreux étudiants et étudiants sont celles et ceux qui sont au contact quotidien avec les jeunes Marocains musulmans à l’université. Ils arrivent au Maroc en se demandant comme il est possible de vivre la foi chrétienne dans un pays musulman. L’aumônerie des étudiants catholiques au Maroc (AECAM) les y aide, formant des communautés ecclésiales de base (CEB), à proximité de leurs lieux de vie. Ils s’y retrouvent pour la prière et la vie fraternelle. Chaque été, des sessions de formation leur sont proposées à Ifrane. Paradoxalement, plusieurs disent que vivre ainsi, minoritaires au Maroc, les fortifie dans leur foi chrétienne.
En 2012, le pasteur Samuel Amédro, président de l’EEAM, et Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat, ont imaginé de proposer à des fidèles de l’une et l’autre Eglise de donner quatre ou cinq années de leur vie pour servir leur Eglise, tout en recevant une formation théologique de type universitaire. Ils ont créé l’institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa à Rabat. Selon un système d’alternance, de jeunes adultes assurent un service dans leur Eglise (catholique ou protestante) tout en préparant un diplôme de théologie, validé par l’Institut catholique de paris ou la Faculté protestante de Strasbourg. Ce lieu est unique : les cours sont données à deux voix, catholique et protestante, dans un contexte arabo musulman, et avec une formation au dialogue islamo-chrétien. L’actuel directeur est le pasteur Jean Koulagna, qui dirige Al Mowafaqa depuis juillet 2018.
Une Eglise de « priants au milieu des priants »
Plusieurs communautés contemplatives sont présentes au Maroc. La plus connue est la communauté cistercienne Notre-Dame de l’Atlas fille de celle de Tibhirine, implantée à Midelt, où les Franciscaines missionnaires de Marie sont présentes depuis plus de quatre-vingt-dix ans. Selon l’expression de Christian de Chergé, les membres de ces communautés des priants, partagent aussi au quotidien les joies et les tristesses de leurs voisins marocains. Mentionnons aussi les Carmélites de Tanger et les Clarisses de Casablanca.
De façon plus modeste, présence et contemplation sont aussi ce que vivent les communautés des Petites Sœurs de Jésus à Fès, Rabat ou Casablanca, selon la spiritualité du frère Charles de Foucaud, lui qui redécouvrit la foi chrétienne au cours d’un périple au Maroc, marqué par la prière des musulmans.
Une Eglise « sacrement du dialogue de Dieu avec chacun »
Cette petite Eglise a été « boostée » par la visite effectuée par le pape François à Rabat, répondant à l’invitation du roi Mohammed VI, les 30 et 31 mars 2019. Le Pape a adressé des paroles qui, parlant de la situation de l’Eglise au Maroc s’adressent à tous les chrétiens : « Notre mission […] n’est pas déterminée particulièrement par le nombre ou par l’espace que nous occupons, mais […] par la manière dont nous vivons comme disciples de Jésus […]. Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme […], encore moins d’une stratégie. Si l’Eglise doit entrer en dialogue, c’est par fidélité à son Seigneur et Maitre, qui, depuis le commencement, mu par amour, a voulu entrer en dialogue comme un ami et nous inviter à participer à son amitié […w] En ces terres, le chrétien apprend à être le sacrement vivant du dialogue que Dieu veut engager avec chaque homme et chaque femme, quelle que soit sa condition de vie ».
En effet, nous avons beaucoup à recevoir et à apprendre les uns des autres sur nos deux rives de la Méditerrané, car nous sommes tous appelés à faire partir de « ce dialogue de salut et d’amitié », selon les mots du pape François à Rabat.
Christophe Roucou, chargé de mission au Maroc pour la DCC.