Il y a 5 ans, jour pour jour, Elisabeth était dans l’avion. Elle embarquait vers une terre inconnue, pour vivre 15 mois de volontariat à Bwamanda, en République Démocratique du Congo. Cette aventure et ces rencontres l’ont construite, et elle en est sortie grandie ! Voici son témoignage :
« 9 février 2016, 22h13 : l’avion atterrit à Kinshasa, je pose les pieds sur le sol congolais pour la première fois, sous 33°C. La chaleur moite m’enveloppe, les odeurs m’imprègnent, les sons sont nouveaux… L’Aventure commence, après des mois de préparation, d’imagination, de projection.
Quelques jours plus tard, je rejoins Bwamanda, petit village de brousse perdu entre la forêt équatoriale et la frontière avec la Centrafrique, qui devient mon lieu de vie pour 15 mois. 15 mois de rencontres, de découvertes, d’apprentissages, de silence, de poussière rouge, de mangues, de dépaysement, de simplicité de vie… Centrés sur l’essentiel.
En partant comme Volontaire de Solidarité Internationale, j’ai choisi de me mettre au service d’un projet local, pour apporter mes compétences tout en vivant une expérience de vie forte, à la fois humaine, personnelle, professionnelle et spirituelle.
La DCC (Délégation Catholique pour la Coopération), organisme qui m’a formée et envoyée, met en effet en lien des volontaires qui veulent partir avec des partenaires locaux ayant identifié un besoin de compétences techniques dans les pays du Sud.
Me voilà donc en brousse avec mon mari, seuls Européens à 100km à la ronde. Nous découvrons une vie bien différente de la nôtre, dans un quotidien dans lequel nous n’avons initialement aucun repère. A ce moment-là, je prends conscience d’à quel point notre environnement nous modèle et nous façonne. Intéressant pour la psychologue que je suis de le vivre personnellement, d’en faire l’expérience jusque dans les moindres échanges de la vie quotidienne.
Nous faisons au mieux pour « faire avec, ensemble », pour travailler en collaboration avec les Congolais et surtout partager leur quotidien. Nous voulons comprendre, vivre, sentir, toucher du doigt cette réalité, pour échanger au maximum avec ceux dont nous vivons une partie du quotidien. « Nos mondes à partager », dit si justement le slogan de la DCC.
Vivre au Congo a été une expérience riche et belle : les liens tissés, les découvertes permanentes, les satisfactions professionnelles, les petits plaisirs du quotidien (de la salade de fruits frais tous les jours, toute l’année, mmm !), les échanges en lingala d’abord balbutiants puis un peu plus fluides, les balades, les expérimentations, la simplicité de la vie… Mais ça a aussi été difficile, voire très difficile parfois : cet écart culturel qui nous a parfois semblé infranchissable, les rapports hommes-femmes, le poids du passé colonial, les difficultés à se comprendre, la place de l’argent, la solitude… Si j’ai développé des « soft skills » a priori tant recherchées aujourd’hui par certains recruteurs (adaptation, patience, tolérance and co), j’ai surtout appris 2 choses qui ne me quittent plus et ont modelé celle que je suis aujourd’hui.
D’abord, j’ai appris à être à l’aise avec le silence.
Ensuite, j’ai appris que l’autre a toujours une bonne raison de faire ce qu’il fait. Toujours.
J’ai appris à être à l’aise avec le silence, à le laisser exister et prendre toute sa place, car c’est justement ce silence qui permet de se mettre pleinement à l’écoute de l’autre et de soi-même. C’est aussi ce silence qui laisse à l’autre la possibilité d’entrer pleinement dans l’échange, de donner les clés nécessaires à la compréhension de son fonctionnement. Je le vis depuis chaque jour, dans mon travail mais aussi avec mes proches : écouter, encore plus qu’entendre, pour voir plus loin ensemble, ouvrir le champ des possibles dans cette relation où tout reste à se dire et à partager, et ainsi entrer véritablement dans ce dialogue que nous recherchons des deux côtés.
Expérimenter d’être l’étranger, c’est se décentrer pour appréhender cette autre réalité. Dans le silence de la forêt, au milieu du brouhaha permanent du village, j’ai observé et scruté les Congolais, mémorisé leurs gestes, leurs mimiques, leurs rituels et leurs habitudes. J’ai essayé de comprendre (souvent sans succès), j’ai parfois tenté d’imiter ou de reproduire, ce qui a souvent fait rire mes interlocuteurs… Et j’ai compris que si je n’avais pas les clés pour comprendre, je ne pouvais pas juger pour autant, ni approuver ou condamner. C’est simple : l’autre a toujours une raison de faire ce qu’il fait, et cela explique ou justifie pour lui cet acte, cette parole, ce comportement, cette attitude. C’est nous, avec notre regard étranger, qui n’avons pas les clés pour comprendre. L’échange est alors la seule clé pour entrer dans sa réalité.
Dans le silence de la forêt, j’ai appris à être attentive aux signes, aux bruissements, au vent qui fait bouger les feuilles, aux animaux qu’on entend passer furtivement, à l’homme ou à la femme qui se fraie un passage, et à faire l’autre moitié du chemin pour aller à sa rencontre. Conserver ce regard naïf et étranger, se décentrer, laisser l’autre me partager sa réalité restent des défis quotidiens aujourd’hui, dans notre monde si différent de celui de Bwamanda. Le Congo continue aujourd’hui à porter ses fruits, en nous ouvrant à ce qui est différent, et en continuant à nous transformer, à résonner en nous chaque jour depuis notre retour. »