« J’essaie d’enseigner avec mes propres forces pour être avant tout cohérent et crédible »

ENTRETIEN 1/2 – Après s’être passionné pour les écoles palestiniennes dans le cadre de ses études, Guilhem a été envoyé à Jérusalem et Bethléem comme assistant de langue française. Passé d’observateur à acteur, il porte un regard singulier sur l’enseignement en Palestine.

Bonjour Guilhem, en septembre 2021, tu rejoins la ville de Jérusalem comme volontaire de la DCC pour y être assistant de langue française, comment vis-tu ce dépaysement ?

Mon arrivée à Jérusalem s’inscrit à la fois en rupture et dans la continuité de mes études. Je quitte certes la France pour le Moyen-Orient, mais au moment de commencer ma mission, je suis déjà quelque peu familier de mon nouvel environnement. Mon intérêt pour le Moyen-Orient m’a en effet poussé à faire un master en expertise politique comparée à Sciences Po Aix, sur le Monde Arabe. Et mon mémoire sur les écoles palestiniennes m’a offert l’opportunité de me rendre pendant deux mois en Palestine. Le contexte de l’enseignement en territoires palestiniens ne m’est donc pas inconnu. L’enseignement non plus puisqu’au semestre précédent, j’ai été enseignant de français et d’histoire à Perpignan. Lorsque je suis accueilli en septembre, les cours ont commencé depuis le mois d’août, mais l’isolement sanitaire pendant quinze jours me permet de m’acclimater avant de me lancer dans le grand bain.

Comment se présente ce nouvel environnement ?

Le collège des frères de Jérusalem se trouve à la Porte Neuve, dans le quartier chrétien. Je vis sur place au sein de la communauté lassalienne qui dirige l’école. Les frères sont au nombre de trois, l’un est Palestinien, un second est Égyptien et le troisième est Espagnol, mais vit depuis plus de 50 ans en Terre Sainte. Âgé de 92 ans, c’est lui qui m’a accueilli à l’aéroport, avec empressement car le Real Madrid était sur le point de jouer ! Moi-même passionné de foot, j’ai le plaisir de regarder régulièrement les matchs avec lui. Habiter avec les frères est une chance, car les volontaires sont nombreux à Jérusalem et par conséquent la tentation est forte de fréquenter essentiellement des Occidentaux.

Qu’est-ce qui fait la spécificité des écoles tenues par les Frères des écoles chrétiennes ?

L’école des Frères de Jérusalem et l’école des frères de Bethléem où je travaille sont des écoles privées catholiques. On devrait donc y voir avant tout des chrétiens aisés. Mais les frères ont toujours eu à cœur de s’ouvrir à la réalité du pays, si bien que les enfants de confession musulmane y sont majoritaires. Les élèves ont des cours de religion spécifiques à chaque confession. Le vendredi, jour de prière pour les musulmans, et le dimanche, jour de repos pour les chrétiens, les élèves n’ont pas classe. De plus, l’école suit le calendrier national qui est marqué par les fêtes musulmanes. Elle est donc fermée le jour de l’Aïd. S’il y a très peu de chrétien dans l’école publique, de nombreuses familles musulmanes font le choix de mettre leurs enfants dans les écoles privées catholiques en raison de leur très bonne réputation, ce qui en fait des lieux marqués par la diversité religieuse à l’image de la société, mais avec probablement plus d’interaction qu’à l’extérieur. Par ailleurs, l’école des frères de Jaffa présente la particularité intéressante d’accueillir des élèves chrétiens, musulmans et juifs, ce qui est plutôt inédit dans le paysage scolaire israélo-palestinien.

Disons quelques mots des élèves, quelle différence avec tes anciens élèves de Montpellier ?

Une grande partie des enfants viennent de la vieille ville. Ils sont habitués à passer beaucoup de temps dans la rue et sont par conséquent, très indépendants. Ils se lèvent pendant les cours, sont assez indisciplinés. Les bagarres sont fréquentes, ne serait-ce que lors de banales parties de football, car ils y mettent beaucoup d’intensité. Certains collègues usent de leur autorité naturelle et crier sur les élèves est assez courant. Si je suis moi-même obligé de crier de temps en temps, j’essaie au maximum de faire avec mes propres forces pour être avant tout cohérent et crédible. Faire de la discipline reste inévitable, car il n’y a pas de surveillant. Lors des récréations, ce sont les professeurs qui sont chargés d’encadrer les élèves. En cas de besoin, nous pouvons néanmoins nous appuyer sur les responsables de niveau, sur le directeur et le sous-directeur.

Quelles relations entretiens-tu avec les parents des élèves ?

Bon nombre des élèves ne sont pas issus des classes aisées. C’est le résultat à la fois d’un choix d’ouverture de la part de la direction et du choix de certains parents, notamment de travailleurs manuels, qui triment pour pouvoir inscrire leurs enfants. Les parents sont par conséquent très impliqués jusqu’à parfois estimer qu’à partir du moment où ils paient, leur enfant doit être diplômé. L’intervention quotidienne des parents, par des messages aux professeurs, par des sollicitations de la direction, est une nouveauté pour moi, avec laquelle j’essaie de composer. Même si le français ne sert pas dans la pratique quotidienne, les parents y voient une question d’honneur. Leur enfant doit exceller et ils n’hésitent pas à m’interpeller jusque dans la rue pour qu’une note soit rehaussée. C’est déroutant, mais au moins, cela donne de l’importance à ce que je fais (rire).

SUITE DE L’ENTRETIEN – « Ma présence aux côtés d’Abir lui permet de mieux s’épanouir dans son métier d’enseignante »