Lucile est infirmière. Âgée de 26 ans, elle a été envoyée en volontariat au Togo pour exercer au sein du centre médical du Puits de Jacob à Sokodé. Elle vit sa mission comme l’occasion d’une vraie rencontre.
La communauté du Puits de Jacob, communauté franco-togolaise chrétienne s’inscrivant dans le Renouveau charismatique, est fondée fin 1974 vers Strasbourg. Sa présence au Togo débute en 1995 par une aide des groupes de prière charismatiques qui commençaient à s’y développer, en organisant des assemblées de prière et des retraites spirituelles dans la ville de Sokodé. Mais l’action de la communauté ne s’arrête pas là, puisqu’elle crée également un centre médical à but humanitaire, qui sera nommé « La Source ».


Ouvert à tous, il œuvre à la restauration de l’Homme dans toutes ses dimensions, physique et corporelle, mais aussi psychologique et spirituelle. Inauguré en mars 2010, l’activité du centre s’est étoffée au fil du temps pour finir par devenir un maillon important de l’offre de soins de la région de Sokodé. Les patients peuvent bénéficier de consultations médicales auprès de généralistes ou de spécialistes, d’analyses biologiques (le laboratoire a d’ailleurs été récompensé par le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique), d’imagerie médicale et même d’une hospitalisation. Plus récemment, un pôle maternité a même été créé afin de prendre en charge les accouchements.

Et alors moi, dans tout ça ? Et bien je travaille avec mes confrères infirmiers et aides-soignants togolais, principalement au pôle hospitalisation où les patients les plus fragiles peuvent être gardés pour une durée de quelques jours à quelques semaines. Je suis parfois amenée à travailler en salle de prélèvement où sont collectés les différents échantillons biologiques pour le laboratoire (prises de sang, analyses d’urine, spermogramme,…), mais aussi à l’accueil ou à la pharmacie. Ici, on est beaucoup plus « multitâche » qu’en France ! J’aime beaucoup ce regard « large » sur la prise en charge du patient que permet cette mission, ainsi que le contact direct avec les malades.

la question omniprésente du coût
des soins est difficile à accepter
Mais cela demande, en début de mission, un certain temps d’adaptation. Les pathologies retrouvées ici sont parfois très différentes de celles dont j’avais l’habitude à l’hôpital français, et les noms des médicaments utilisés ne sont pas les mêmes. De plus, la question omniprésente du coût des soins est difficile à accepter, surtout lorsque l’on vient d’un pays où tout est pris en charge, où le patient ne paie rien de sa poche. Alors, il faut s’adapter. Parfois choisir entre deux analyses, pourtant nécessaires à la prise en charge, car le patient n’a pas les moyens d’honorer les deux. Il faut aussi intégrer un rapport à la mort relativement différent de celui que l’on a en France. Venant d’un service de réanimation parisien, j’avais l’habitude des prises en charges poussées où l’on ne lésine pas sur les traitements, analyses, imageries et dispositifs médicaux, malgré l’âge parfois avancé des patients. Or ici, la mort fait partie intégrante du quotidien, l’espérance de vie est inférieure de quasiment vingt ans à celle de la France. Une grande majorité des mamans ont déjà perdu un voire plusieurs enfants, au cours de la grossesse ou des premières années de la vie. Ici, c’est « Dieu qui donne, Dieu qui prend ».
Ici, la prévention joue un rôle clé
dans les prises en charges
Dans ce contexte, mon travail prend un sens différent ici. On soigne au mieux avec moins de moyens, on se débrouille. On n’a pas accès à tout le matériel, les médicaments, les appareils auxquels on est habitués en France… Mais on fait avec. Ici, la prévention joue un rôle clé dans les prises en charges car les patients ne se tournent souvent auprès de la médecine « occidentale » qu’en deuxième intention, après avoir tenté diverses thérapeutiques traditionnelles où même, très fréquent, après avoir consulté un marabout. En effet, les croyances magiques sont extrêmement ancrées dans l’inconscient collectif. Alors il faut tenter de concilier ces croyances, irréfutables, avec notre médecine scientifique. Amener les gens à vite consulter s’ils sont malades, à bien prendre leur traitement antihypertenseur où à bien suivre leur diabète sans contredire la dimension que nous, occidentaux, qualifierions d’ésotérique. Pour ma part, je prends énormément de plaisir à échanger avec les patients, comprendre la façon dont ils voient leur maladie, et tenter de leur transmettre des connaissances.



une chance incroyable de rencontrer,
d’échanger, de s’étonner ensemble
En ce qui concerne le quotidien, la vie à Sokodé me plaît beaucoup. Deuxième ville du Togo en terme de population, j’apprécie ce mi-parcours entre un environnement urbain et rural. On y trouve quelques bars, restaurants où sortir entre amis, quelques boutiques où trouver de la nourriture et des vêtements. Mais en s’enfonçant dans les petites rues faites de terre (les « vons » comme on dit ici), on se retrouve vite au milieu de champs et de petites maisons faites d’argile. Ville à forte majorité musulmane, je pense n’avoir jamais vu un espace avec une telle concentration de mosquées par habitant ! Pour autant, les musulmans et les catholiques vivent ensemble de façon paisible et cohabitent en harmonie. L’ethnie la plus représentée, les Kotokolis, sont joviaux et chaleureux. L’absence d’attrait touristique et commercial de la ville rend notre présence, en tant que blancs, toujours un peu étonnante aux yeux de la population locale. Mais les « anissaras » (« les blancs » en kotokoli) sont généralement très bien accueillis. Je me plais beaucoup à échanger avec des collègues ou des amis togolais, à débattre sur certaines questions dont la réponse, en tant que française, me semble absolument évidente. Nous sommes parfois en désaccord mais ces sujets donnent lieu à des discussions enflammées très enrichissantes.
Au-delà du service rendu au partenaire local, cette mission constitue une opportunité et une chance incroyable de rencontrer, d’échanger, de s’étonner ensemble. La proposition de créer des ponts entre les peuples prend vraiment tout son sens une fois sur place.
