Entretien 2/2 – Après nous avoir présenté son partenaire local, Guéra Touristique, Elodie nous présente sa mission et son format particulier, le Volontariat d’Echange et de Compétence (VEC).
Envoyée pour un Volontariat d’Echange et de Compétence (VEC), ta mission a commencé en France les deux premiers mois pour ensuite te rendre pendant quatre mois sur le terrain. Comment être efficace dans ce format très dense ?
J’ai la chance de bien connaître l’Afrique et en particulier le Tchad et d’avoir été en relation avec de nombreux projets de développement. De plus, je connaissais déjà bien le partenaire, Guéra Touristique, avec qui j’avais déjà collaboré. M’acclimater à mon nouvel environnement et comprendre le fonctionnement de mon partenaire fut évidemment moins difficile pour moi. En France, au cours des deux premiers mois de ma mission et même avant j’ai pu être en veille sur les sujets qui me concernaient, identifier les acteurs à distance et leur proposer des rendez-vous. Maintenant que je suis sur place, le défi est de m’immerger en profondeur. L’un des atouts du VEC est de vivre avec la population. Lorsque je me rends à N’Djamena, la capitale du Tchad, je constate que je vis un décalage plus important avec certains Occidentaux qui œuvrent au sein d’organismes de développement qu’avec la population au sein de laquelle je vis. Cette radicalité est bénéfique, elle me permet d’être proche de la communauté locale.
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Malgré une présence relativement courte, comment faire pour que ton action perdure dans la durée ?
La proximité avec la communauté locale, que je viens d’évoquer, est essentielle. Les grands projets, malgré de gros investissements, s’ils ne sont pas faits avec la population, ne tiennent pas dans la durée. La pérennisation d’un projet ne dépend pas tant des moyens financiers que de l’appropriation du projet par la population. Je fais l’expérience que lorsque c’est fait avec un groupement de femme, le projet fait tache d’huile car les femmes partagent leurs savoir-faire. Pour ce qui est de ma mission, si je suis en charge de la phase exploratoire du projet, et de sa recherche de financement, c’est Ahmat, mon binôme technicien, qui sera chargé de sa mise en place. Et ce projet s’appuiera sur un apprentissage ludique.

Venons-en justement à la circulation des compétences, comment lui donner forme auprès de la population locale ?
Je souhaite que l’on s’appuie sur un outil pédagogique : une mallette de jeu qui, une fois mise à plat, représente une parcelle agricole. On y dépose de la terre et on y verse de l’eau pour manifester les phénomènes d’érosion. Ensuite, on recommence l’expérience en ayant ajouté des éléments tels qu’une haie et des digues, et en versant à nouveau de l’eau, on constate qu’elle est retenue, que l’érosion est réduite, et que les sols restaurés produisent. C’est une approche simplifiée du bocage qui consiste à mettre en valeur tous ses bienfaits, tant en termes déjà cités que de biodiversité recréée, et de réduction des conflits entre éleveurs et agriculteurs grâce aux parcelles fermées. Enfin, j’imagine des cartes inspirées des Nutricartes® de L’APPEL, qui sont des jeux de cartes permettant de découvrir et d’échanger dans la convivialité sur les apports et les méfaits des aliments avec pour objectif de lutter contre la malnutrition. Ce seront donc des cartes d’arbres choisis pour leurs apports et classés par catégorie afin de montrer les bénéfices qu’ils vont générer.

Plutôt que de comprendre le cycle du carbone
sur lequel elle a peu d’impact, la population locale
a besoin de mise en œuvre.
Dans quels objectifs s’inscrivent ce projet et plus largement ta mission ?
La population locale a besoin des arbres et des plantes pour se nourrir, se soigner, se chauffer, pour faire des clôtures, des produits manufacturés… La région a du potentiel mais les effets du changement climatique se font ressentir. Chacun observe que les saisons varient davantage, que l’hiver arrive par exemple en janvier au lieu de décembre, que la saison des pluies est plus courte et parfois aussi plus violente, ce qui n’est pas sans effet sur les récoltes. La population est sensibilisée par les ONG mais elle voit bien d’elle-même que la terre se craquèle.

Plutôt que de comprendre le cycle du carbone sur lequel elle a peu d’impact, elle a besoin de mise en œuvre. Ma mission a pour objet de réduire l’érosion des sols par la plantation de haies, d’arbres et arbustes fruitiers, qui eux-mêmes ont pour objet de contribuer à la sécurité alimentaire et à certains revenus (vente de gomme arabique par exemple). Ces actions de reboisement et de meilleure gestion des ressources naturelles s’inscrivent dans la réponse de la Grande Muraille Verte à plusieurs des objectifs de développement durable.
La Grande Muraille Verte vise à restaurer 100 millions d’hectares de terre dégradées, sur une bande longue de 8 000 kilomètres au sud du Sahara allant du Sénégal à Djibouti. Comment est-il possible d’agir à ton échelle ?
C’est en effet un projet transnational, mais les actions menées doivent correspondre aux besoins spécifiques à chaque région. Le phénomène est commun au onze États, le partage des savoir-faire et des bonnes pratiques est évidemment utile mais difficile du fait de l’illettrisme et du faible accès à internet. Il faut donc s’adapter au territoire comme à la population, notamment dans le choix des essences d’arbres. Guéra Touristique, mon partenaire, œuvre pour un tourisme solidaire et éco-responsable qui permet à la fois de mener des actions respectueuses de l’environnement et développer l’économie locale. Je constate un manque de logement touristique, j’envisage la création d’un campement servant à la fois pour les touristes et comme modèle agricole. Après ma mission, j’aimerais beaucoup créer une caravane de Dakar jusqu’à Djibouti, qui soit un long voyage itinérant, avec des dromadaires ou des ânes, auquel seront conviés les personnes travaillant sur la muraille verte pour mutualiser les expériences de lutte contre l’érosion des sols. Ainsi, en partant de l’échelle locale, il serait possible de créer une dynamique transnationale.
