« Être au service des autres »

Je suis partie pendant 13 mois (février 2019/2020) en volontariat de solidarité internationale aux Philippines avec LP4Y. Basée dans un Life Project Center, le Green Village de Calauan (sur Luzon, l’île principale des Philippines), j’étais coach d’un programme de 20 jeunes, dans leur insertion professionnelle.

Les jeunes intègrent le programme pour une durée de 9 mois à l’issue duquel le but est de s’insérer sur le marché du travail.

Chaque semaine s’articule autour de 3 temps forts : 

  • Le Work: La gestion d’une micro activité, dans mon programme un micro business de création de meubles et décoration écologiques (Deco’Me).
  • Le Guide: le coaching collectif et individuel des jeunes dans leurs projets de vie.
  • Le Learn: la remise à niveau sur des sujets indispensables en entreprise tels que les compétences informatiques, la maîtrise d’outils administratifs ou encore l’anglais.

 

  • Comment cette expérience a-t-elle influencé ta philosophie de vie ? Ta manière de voir les relations humaines ?  

Cette expérience de volontariat m’a permis de vivre non pas centrée sur ma propre existence mais de vivre avec et au service des autres.

Cela m’a également permis de sortir de ma « bulle occidentale » et plonger dans la sobriété. Je me suis rendue compte que vivre de peu permet de se concentrer sur l’essentiel, les relations humaines. En d’autres mots, ne pas perdre son temps avec des activités futiles.

J’ai aussi été marqué par l’entraide entre les communautés et les générations. Dans les communautés les plus modestes, celui qui a (de l’argent, de la nourriture) à un moment T, partage et soutient ceux qui sont dans le besoin. C’est assez dingue de se rendre compte que les personnes les moins égoïstes sont en fait celles qui ont le moins.

 

  • Quel est ton plus beau souvenir de mission ?

Ma mission a été ponctuée de multiples souvenirs et d’émotions.

Pour n’en citer qu’un, je garde en tête le « House renovation project » de la famille Vergara.

Tout au long de ma mission, j’ai rencontré des jeunes qui ne vivent littéralement de rien et habitent dans des conditions que nous n’imaginerions même pas de l’autre côté de l’océan. Et oui, il fait bon de se rappeler que satisfaire ses besoins élémentaires est encore un combat de chaque jour pour une bonne partie de la planète.

Pour en revenir au House Renovation Project, Edison était membre de Green Garden, l’un des 3 programmes du Green Village.

Lorsqu’un jeune rejoint le programme, nous (les coachs) avons à cœur de découvrir d’où il vient, qui sont ses proches et dans quelles conditions ils vivent. C’est ainsi que nous avons découvert la situation d’Edison et de sa famille. Relocalisé de Manille à Calauan il y a plusieurs mois, le gouvernement leur avait mis à disposition une maison, ou pour être plus exacte, un petit terrain délabré, sans toit, sol ni électricité ; peut-on réellement appeler cela une maison ?

Grâce à LP4Y, nous avons pu allouer un petit budget pour rénover sa maison. Edison a dû apprendre à réaliser un budget, aller recenser les besoins en matériels et mobiliser les membres du Green Village, une vraie gestion de projet !

C’est ainsi que jeunes, workers, et coachs se sont réunis tous les dimanches afin de co-construire. J’ai été fasciné par cette entraide entre tous ces gens qui sont tous confrontés à des difficultés financières et sociales et qui pourtant ont le cœur rempli d’une solidarité. Ils ont consacré tous leurs dimanches pendant 1 mois à aider leur nouvel ami et sa famille à retrouver un logement « décent ».

 

  • A quelles épreuves as-tu été confronté ? Comment y as–tu fais face ? 

Concernant le mode de vie, la vie au Green Village n’a pas été des plus banales. Co-habitant avec de nombreuses espèces animales, mon quotidien se partageait entre petit-déjeuner à base de fourmis, douches en compagnie de crapauds et chasse à l’araignée en allant se coucher. Une vie 100% nature qui demande lâcher prise et co-habitation avec nos amis les bêtes.

Des « problèmes techniques » nous ont également obligé à vivre sans eau courante durant plusieurs mois. Avec l’aide de la communauté, et notamment celle de Ate Elsa, une femme de la communauté voisine qui nous a gentiment aidé dans notre approvisionnement en eau et prêté son tricycle tous les soirs pour effectuer les allers-retours du puits au village pour amener nos seaux d’eau. Une belle leçon d’organisation, d’entraide et d’adaptation.

Mais au delà de la logistique quelque peu différente de nos habitudes françaises, c’est les épreuves sociales qui m’ont le plus impactées. En partageant le quotidien des jeunes et les difficultés financières et familiales auxquelles ils étaient confrontés, il m’a été très dur de rester neutre.

Adopter une bonne posture de coach, et parfois contre mon gré, de grande sœur ou de confidente, j’ai eu beaucoup de mal à ne pas prendre les combats des jeunes pour les miens. J’ai passé de longues heures avec Mary Grace, à l’écouter me parler de ses difficultés avec son conjoint, marié de force à un homme de 25 ans son ainé ; avec Marjorie devant subvenir aux besoins de toute sa famille ; avec John Paul, Miles ou encore Angelica abandonnée par sa famille. Je me suis, très souvent, sentie impuissante face à tous leurs problèmes et ai essayé tant bien que mal d’être une oreille attentive et de les aider à mettre en place des plans d’action pour avancer dans leurs vies respectives.

 

  • As-tu eu le sentiment d’avoir un impact pour le développement ? Comment cela s’est-il traduit ? 

En tant que volontaires déterminés et plein d’énergies, on arrive avec de grandes ambitions, celles de penser tout changer et améliorer dans la vie du centre et des jeunes. Seulement nous sommes vites rattrapés par la réalité et apprenons rapidement que la solution n’est ni de donner ni d’assister.

J’ai mis du temps à « évaluer » l’impact que je pouvais avoir dans la vie des jeunes et plus généralement pour le développement. Je pense que mon apport a principalement été celui de l’écoute et de la transmission.

Avec du recul, je pense que l’apport principal de la pédagogie LP4Y est celui du développement personnel des jeunes. Prendre du temps pour définir son « Life Project Plan ». L’introspection, la découverte de soi et de ses talents sont des moments riches du programme qui sont rares dans leur quotidien et ont énormément de valeur ajoutée dans leur avancée personnelle comme professionnelle.

Je ne pense clairement pas avoir changé le monde et je résumerais mon impact en 3 mots : écoute, bienveillance et connaissance de soi.

 

  • Une rencontre qui t’a marquée pendant ce volontariat ? Pourquoi ?

Difficile de n’en citer qu’une, ayant accompagné plus d’une quarantaine de jeunes au sein du programme Deco’Me et croisé le chemin de dizaines d’autres jeunes au sein du Green Village et d’autres centres des Philippines, Vietnam et Indonésie.

Parmi les jeunes que j’ai eu la chance de rencontrer et d’accompagner durant ces 13 mois de volontariat, bien des rencontres m’ont marquées, parmi elles, il y a eu Vernadeht.

De cette jeune philippine, je retiens la résilience, le sourire et la joie de vivre. Enfant non désirée, issue d’un viol, d’une famille monoparentale en difficultés financières, elle a été une de mes plus belles leçons.

J’ai eu la chance d’être invitée dans sa maison, petite salle insalubre de 9 mètres carré, qu’elle partageait avec sa mère et son grand père. J’ai pourtant été reçue comme une invité d’exception, bénéficiant de la seule planche/lit pour m’asseoir pendant que les membres de sa famille étaient assis au sol, ravis d’échanger et de me rencontrer. Bien que gênée de les voir réunir les quelques économies de la semaine pour m’offrir une boisson et un goûter, j’ai appris que refuser cette délicate attention risquerait plus de les offenser. C’est avec joie que je partageais ce moment de qualité avec eux.

Vernadeht cumulait les problèmes, financiers d’abord, avec l’impossibilité pour sa famille de réunir assez d’argent pour nourrir le foyer et payer les factures. Mais également les problèmes sociaux, confrontée à la violence de son petit-ami et la terreur qu’il lui faisait vivre au quotidien, puis enfin une grossesse non désirée sans avoir la possibilité de choisir quant au futur ou non de cet enfant dû aux règles en vigueur dans son pays. Pourtant, lorsqu’à mon tour je traversais des moments difficiles dans mon expérience philippine, bien que je n’osais pas lui avouer mes problèmes qui me semblaient triviaux face aux siens, elle me répétait toujours que quoiqu’il se passe « il ne faut jamais oublier de sourire ».

De Vernadeht et des Philippins de manière générale, je retiens la résilience, la joie des instants simples, la solidarité et l’optimisme. Une promesse que je me suis faite suite à toutes ces rencontres est de m’efforcer à adopter cet état d’esprit face à toutes les difficultés que je rencontrerai dans mes aventures futures.

Prendre du recul sur ses difficultés et lâcher prise, au final tant de notions que nous essayons, nous occidentaux, d’appliquer dans nos vies par des formations en développement personnel, de pratique de la méditation et tant de méthodes tant prisées dans nos sociétés à l’heure actuelle.

Et si je m’étais offerte un accompagnement en développement personnel aux côtés des meilleurs coachs que je n’aurais jamais pu trouver ailleurs ?

 

  • Après ce volontariat d’un an, quels sont tes projets au retour ? En quoi ce volontariat a participé à construire cette nouvelle voie ? 

Au cours de ce volontariat, j’ai pu mettre le doigt par divers projets et expériences, sur un sujet qui me passionne, l’entrepreneuriat social.

De part l’accompagnement des jeunes dans la gestion du micro-business Deco’Me, les initiatives lancées dans chaque Life Project Center mais aussi par ma participation à des projets ou événements plus spécifiques comme un hackathon en partenariat avec makesense, des ONG locales et les Nations unies, j’ai confirmé mon souhait de poursuivre dans ce domaine.

Je recommence ma vie française comme startup program manager dans un incubateur de startups, le Pepite Start’up île de France, basé à Station F. J’espère à terme ajouter à cette expertise le côté social qui me tient à cœur.