« anissara tchétché » (Le blanc avec un vélo) ou le choix de la décroissance

Dans la première partie de son témoignage, Jean-Christophe nous a partagé son choix fort d’éviter le plus possible de prendre l’avion pour se rendre sur son lieu de mission et en revenir. Il nous propose, dans cette seconde partie, une réflexion croisant son expérience et l’affirmation du pape François dans l’encyclique Laudato Si’ : « l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. » Laissons-nous interpeller par son témoignage.

Quelle est donc cette « saine croissance » et quelles sont ces « ressources » qu’il faut préserver ?

On l’a vu avec la crise du Covid puis avec la guerre en Ukraine, nous sommes dépendants d’autres pays sur plusieurs points : engrais, nourriture, produits manufacturés, etc. La dépendance n’est pas mauvaise en soi. Mais il faut regarder l’équilibre bénéfice-risque.

Il est nécessaire d’assurer les besoins vitaux. Le premier, est la nourriture. L’agriculture doit être résiliente. C’est à dire pouvoir continuer à alimenter la population nationale, malgré les diverses crises. À cet égard, les engrais chimiques (très dépendant de l’énergie), et les graines de Monsanto (stériles) sont un risque à surveiller. Évidemment, les engrais, les pesticides et les sélections d’espèces (voir même les OGM) ont permis d’accroître considérablement les rendements agricoles, ce qui permet d’alimenter correctement la population mondiale actuelle. Sans cela, ce serait quasiment impossible aujourd’hui, ou bien nécessiterait une déforestation massive pour augmenter les surfaces cultivées. Il ne faut donc pas tout jeter à la poubelle du jour au lendemain. Mais prendre conscience des risques qui existent (épuisement des mines de phosphate, incertitude sur l’approvisionnement énergétique, influence du changement climatique…) et se préparer en conséquence.

Au Togo, j’ai été frappé de voir à quel point les tracteurs étaient rares. La majorité du travail agricole se fait à la main, sans même de traction animale ! De ce point de vue, une éventuelle pénurie de pétrole ne changerait pas grand-chose. À côté de ça, la fibre est déployée dans tout le pays et la plupart des personnes ont un smartphone. Certaines priorités seraient peut-être à revoir…

Il y a quelques années, le Togo était quasiment autosuffisant en nourriture. Aujourd’hui, le gouvernement pousse les agriculteurs à abandonner les cultures traditionnelles (sorgho, mil, maïs) pour produire du soja. En effet, le Brésil en achète beaucoup (notamment pour nourrir les bêtes qui finiront dans nos assiettes). Le prix d’achat du soja est tel que les agriculteurs suivent les recommandations du gouvernement et se tournent vers cette culture. Le Togo doit alors importer une plus grande partie de sa nourriture. Il a renforcé sa dépendance à l’international.

Géraldine, volontaire au Togo, infirmière à La Source, dispensaire de la Communauté du Puits de Jacob à Sokodé

L’autre besoin qui me semble primordial à maintenir, c’est la santé. Certes, ça consomme des ressources (eau pour les médicaments, plastique à usage unique, métaux pour les équipements) Mais c’est un besoin vital. On doit y répondre. Je pense que j’ai fait le même constat que beaucoup d’autres volontaires : quand on voit le système de santé dans nos pays de mission, on se rend compte de la chance incroyable qu’on a de vivre en France. Sécurité sociale d’une part, et disponibilité d’un matériel de pointe, quelle que soit la région. Eh bien là aussi, préserver les ressources me semble primordial, pour que ce que nous connaissons en France puisse se développer ailleurs. Je donne à ce titre un exemple parmi tant d’autres. Le titane peut servir à réaliser des prothèses. Ce métal a des propriétés formidables : il est très résistant, très léger, il résiste à la corrosion et est facilement accepté par le corps humain. Pourtant, aujourd’hui, 95% de la production mondiale de titane sert à faire… des pigments blancs. Pour blanchir nos dentifrices, nos crèmes solaires, notre papier, nos coques d’IPhone, etc. Il s’agit d’un usage dispersif qui ne sera pas recyclable. Comment expliquera-t-on à nos enfants qu’ils ne pourront pas avoir de prothèse parce que nous n’étions pas prêts à accepter que notre papier soit un peu marron ?

Tout cela peut sembler compliqué, technique et rébarbatif. Je ne vais pas vous cacher que j’ai passé pas mal de temps à lire creuser, chercher. Et c’est nécessaire pour ne pas tomber dans les fausses routes. Elles sont nombreuses. L’industrie utilise l’écologie pour vendre toujours plus et on entend tout et son contraire.

Mais au-delà de cet aspect technique, je vous invite surtout à vivre avec audace. Partir en volontariat en demande déjà beaucoup. À partir de là, n’ayons pas peur de surprendre, de dénoter. Le ridicule ne tue pas. Je me suis fait surnommer « anissara tchétché » : le blanc avec un vélo. Je vous garantis que ça faisait rire ! Eh bien je riais avec eux. Tout simplement. Et nous n’en étions que plus joyeux.

Redécouvrons la joie de la sobriété. Si j’ai moins de superflu, j’aurai plus de temps à partager avec mon voisin, et nous serons ainsi plus heureux.