Entretien 1/2 – Alix et Bruno sont en mission de volontariat à Mexico depuis janvier 2022, accompagnés de leur fille née en 2019. Dans cette ville aux très fortes inégalités, ils sont responsables de maison pour une colocation Lazare. Après quelques années de vies professionnelles, Alix et Bruno ont choisi de mettre toute leur énergie dans cette aventure humaine.
Connaissiez-vous Lazare avant de vous engager dans cette aventure ?
Alix : Oui, j’ai fait mon internat de gynécologie obstétrique à Lyon. C’est pendant cette période que j’ai vécu au sein d’une coloc’ Marthe et Marie, qui fonctionne sur le même principe que Lazare, mais avec de futures mamans. A Lyon les 2 associations partagent la même maison. C’est ici que j’ai rencontré Bruno, qui vivait à l’étage du dessus dans un appartement Lazare.
Bruno : Après avoir vécu dans une maison Lazare à Lyon pendant 1 an et demi, nous sommes toujours restés en contact avec l’association, avec nos colocataires de l’époque ainsi qu’avec les nouveaux. A l’occasion des 10 ans de Lazare Lyon en juin 2021, nous avons appris que Lazare cherchait un couple pour être responsable d’une colocation à Mexico.
A cet instant vous aviez déjà pensé au volontariat ?
Alix : oui justement, car on venait de candidater pour partir en volontariat avec la DCC !
La mission vous a donc été proposée en septembre 2021, et en janvier 2022, vous atterrissiez à Mexico et rejoigniez Lazaro…
Alix : Dès notre arrivée on a été plongé dans la mission. La fondation était toute nouvelle et il y avait beaucoup de choses à faire. La barrière de la langue a dû être rapidement franchie, pour comprendre notre nouvel environnement, la culture mexicaine, la culture de la rue, etc.
Bruno : A notre arrivée notre logement n’était pas encore prêt. Nous vivions donc au sein de la maison, au plus près de cette colocation solidaire qui rassemble des personnes issues de la rue et des jeunes pro. Durant ces 3 mois au cœur de la mission, on a partagé leur quotidien, nous étions sollicités en permanence pour les petits problèmes. Nous avons été contents de retrouver un peu d’intimité lorsqu’un logement indépendant a pu nous être attribué.

Vous vous attendiez à cette proximité ?
Alix : On ne s’attendait pas à la vivre de cette manière. Mais la proximité fait partie de la mission du couple responsable, car le couple doit en quelque sorte servir d’exemple. Les personnes qui ont connu la rue ont bien souvent des enfants qu’ils ne voient plus ou des histoires conjugales douloureuses. Notre présence leur permet de voir qu’une vie familiale épanouie est possible.
Bruno : Plus largement, la proximité est la vocation même de Lazare puisqu’il s’agit non seulement de sortir de la rue les colocs mais aussi de rompre les barrières sociales. C’est un défi encore plus grand à Mexico où les classes sociales sont très marquées. Contrairement à la France, il n’y a pas de classe moyenne volumineuse, donc certains jeunes pro qui sont issus des classes supérieures connaissent des réalités diamétralement opposées à celles des accueillis. Concernant le ménage de la coloc par exemple, certains jeunes pros ont proposé de faire appel à une femme de ménage, car ils n’avaient pas encore compris à quel point cette tache participe à la cohésion de l’appartement.
Alix : Cette mixité, on essaie de la créer aussi dans d’autres activités de la fondation. Lors de la soupe populaire organisée chaque WE par la fondation, on a par exemple acheté des tables et des chaises pour ne pas se limiter à la distribution des repas, mais permettre aux gens de faire connaissance. Or, les volontaires veulent bien distribuer les repas, mais ils sont beaucoup plus réticents à l’idée de partager un repas avec les plus pauvres.
Au-delà du fait de vivre ensemble, comment cette unité est-elle favorisée au sein de la colocation ?
Bruno : Dans les coloc’ Lazare, il existe tout un cadre qui sert justement à favoriser cette unité. Le défi à notre arrivée était justement de mettre en place ce cadre, qui était avant nous inexistant.
Alix : Cet esprit repose sur des moments fraternels qui font l’unité : temps de repas hebdomadaire, laudes quotidiennes, sorties tous ensemble, etc. Il a fallu créer cette dynamique permettant l’unité sans pour autant faire un copier-coller du modèle français et l’adapter à la culture mexicaine.

Et la dimension spirituelle ?
Alix : la fondation est catholique et cela tient une place importante. Par contre le Mexique est de plus en plus laïque, voir anticlérical, même s’il y a une culture populaire religieuse forte : vénération de la Vierge de Guadalupe, expressions courantes du type « si Dieu le veut », les gens qui se signent devant l’église et qui prient devant l’église quand celle-ci est fermée, etc.
Nous avons beaucoup de mal à trouver des jeunes pro cathos, car les cathos pratiquants viennent souvent des catégories sociales hautes. Pour débuter nous avons donc élargi à des non-catholiques, mais ouverts à la foi. On vit aussi ce contraste dans notre couple puisque je suis catholique et Bruno ne l’est pas. Pour l’instant dans la vie de la coloc’, on dit les laudes [NDLR : prière qui se dit au lever du soleil partout dans le monde, en particulier dans les monastères] une seule fois par semaine. Et une fois par mois on organise l’heure d’adoration dans la paroisse voisine.
Quelle est la réalité de la pauvreté à Mexico ?
Alix : il existe beaucoup de facteurs différents qui poussent les gens à la rue, et chacun a son histoire propre. Mais globalement on retrouve beaucoup de consommations de drogues chez des très jeunes personnes (bien plus qu’en France), alcoolisme, maladies mentales, … Beaucoup de personnes âgées sans retraite également. La majorité a rompu le lien familial, et donc se retrouve en grande exclusion sociale, puisqu’il n’existe quasiment aucune aide sociale au Mexique.
Bruno : La vie dans la rue à Mexico est d’une extrême violence : violence entre eux, violences policières, vols, etc. Les gars de la rue arrivent donc chez nous avec une méfiance immense envers les autres, notre mission consiste à convertir cette méfiance en confiance. Une grande partie des personnes qui fréquente notre soupe populaire souffre aussi de diabète et d’hypertension, mais sans possibilité de prise en charge ni traitement.