Christophe a 28 ans, il est depuis 19 mois en volontariat à Foumban au Cameroun. Agronome de formation, il est en mission au CEFAN, centre agricole de formation en agriculture durable.
Une prise de conscience introduite par l’initiation au bio
« Avant de venir frapper à la porte de la DCC, j’avais fait des études d’agronomie pendant 4 ans, puis j’avais commencé à travailler comme ouvrier agricole en maraîchage et arboriculture dans une ferme non loin de Paris, en conventionnel. C’était un passage important pour moi car au cours de mes études je n’avais travaillé qu’avec des structures bio, et je voyais maintenant la réalité de l’agriculture tels que beaucoup de producteurs la vivent. C’était très intéressant, et je reste troublé par cette expérience. Intéressant pour la technique que j’y ai apprise, et pour réaliser quelles sont les raisons qui peuvent pousser les producteurs à s’écarter des techniques durables pour préférer le court terme. Intéressant aussi de voir quels sont les pas réalisés, pour un producteur entièrement conventionnel, pour peu à peu privilégier les pratiques respectueuses de l’environnement, même si beaucoup de mes concitoyens aujourd’hui considéreraient que ce ne sont que de petits pas. Mais dérangeant aussi. La culture du pommier en conventionnel nécessite actuellement une trentaine de traitements aux pesticides de synthèse par an, avec en majorité des fongicides pour se protéger des maladies qui sont dévastatrices. Je me souviens d’avoir passé des journées entières à mélanger des produits de synthèse, en combinaison, gants, bottes, et masque intégral respiratoire.
A me demander si j’étais devenu chimiste ou agriculteur.
L’évidence du volontariat
Cette offre de volontariat m’a sauvé ! Elle m’a cueilli en ce temps de doute en me proposant une mission de formateur en agriculture durable.
Redonner du sens à ma vie, après avoir vu ce que je pense être les travers de l’agriculture actuelle. C’est donc dans un centre agricole de formation en agriculture durable (CEFAN) que j’atterris, qui a pour but de former sur deux ans une quarantaine de jeunes femmes et hommes de 18 à 30 ans, souvent déscolarisés, à devenir producteurs. Ceci afin de freiner l’exode rural et de de inciter les jeunes à s’installer dans leur département, à produire, en sachant que l’agriculture reste le pilier économique n°1 du Cameroun. Aujourd’hui, je suis formateur en lutte intégrée et en vie du sol. Un poste clé pour moi, si on veut commencer à parler d’agriculture durable.
Former des jeunes Camerounais à une agriculture plus durable
- Lutte intégrée : Comment travailler pour retarder l’apparition de maladies ou de parasites, et lorsqu’ils sont là, trouver des recettes locales pour fabriquer des pesticides naturels. Jus d’ail, de piment, de feuilles de papayer, d’Aloe vera, de cendre, qui sont autant de fongi-bactéri-insecticides ou fuges (répulsifs plutôt que tueurs) naturels. Un bon moyen de rendre grâce à la nature de nous donner les moyens de protéger les fruits de notre travail, et d’éviter d’utiliser les pesticides de synthèse qui ici au Cameroun sont souvent ceux de France qu’on a refourguée lorsqu’on les interdit. Et sans normes de protection de l’utilisateur, des eaux environnantes, des abeilles, etc.
- Vie du sol : La magie qu’on peut avoir d’apprendre à des jeunes déjà habitués à cultiver que dans leur sol, on trouve une multitude de micro ou macro-organismes vivants qui travaillent sans relâche pour rendre le sol fertile, aéré, perméable. J’en ai conscience, on fait de tout petits pas.
Mais en partant dans les villages visiter les jeunes qui sont sortis du centre depuis un ou deux ans et que j’ai connu, j’entends dans leur bouche parler de compost, de purin de Tithonia diversifolia, de lutte contre l’érosion du sol, de paillage ou d’association culturale, parfois j’entends ces mêmes mots chez leurs parents, et je me dis qu’une ouverture est transmise. Un esprit de découverte. Ces deux ans de formation ne leur donnent pas toutes les clés pour devenir des agriculteurs bio modèles, ou même des permaculteurs, mais je connais ces jeunes et je sais qu’ils ont en eux la ténacité et la soif d’apprendre et de découvrir. C’est pour cette raison que je considère la formation comme essentielle : une porte que l’on ouvre, dans l’esprit de jeunes qui ne voyaient absolument pas l’intérêt de protéger leur environnement et qui par la suite prennent l’initiative pour approfondir leurs connaissances. Alors c’est une mission qui n’est pas simple. Pas seulement pour moi, c’est un pari risqué que le CEFAN prend. Lorsque je suis arrivé, le centre était encore en comparaison entre agriculture conventionnelle et agriculture durable. J’ai cru désespérer lorsque j’ai vu mes jeunes reprendre les mêmes produits que j’épandais en France, et avec aucun équipement de protection. Autour d’eux (le Noun, dans lequel est Foumban, est un département très agricole), ils voient leurs parents/voisins/amis recourir toujours aux mêmes pratiques agricoles, et savent très bien que ces méthodes marchent. C’est difficile de les convaincre que ces techniques sont efficaces à court terme seulement, et sont responsables de la dégradation de leur qualité de vie. Heureusement, avec toute l’équipe pédagogique nous avons changé radicalement d’approche pour passer entièrement en agriculture durable au centre depuis janvier 2020. C’est un défi, car nous expérimentons parfois le matin les techniques que nous enseignons aux jeunes l’après-midi. Mais cette restriction nous oblige à concentrer nos recherches/expérimentations uniquement en agriculture durable, ce qui nous permet d’avancer bien plus vite. Bon, ce n’est qu’en agriculture. L’élevage continue d’être très conventionnel avec administration d’antibiotiques et non-respect du bien-être animal.
L’écologie intégrale : un défi de tous les jours
La vie autour du centre aussi. Nous n’avons pas de poubelles, et nous jetons nos déchets dans un trou ou nous les brûlons. Nous prenons la moto et la voiture pour aller visiter nos jeunes sur le terrain. Il reste du chemin à faire. Néanmoins, je vis sur le centre même (qui est un internat). Dans une maison séparée des jeunes certes, mais en les côtoyant je me fais à certains aspects de la vie africaine, bien plus simple et moins énergivore que la vie européenne je crois. Je fais ma lessive à la main, je n’utilise pas de papier hygiénique aux toilettes, seulement de l’eau, le wifi n’est pas illimité, je me couche très tôt, la nuit tombant à 18h30… Le petit plus, j’ai mon petit jardin à moi, que je fertilise avec mon urine que je collecte la nuit dans un fût. C’est d ‘ailleurs en vivant cette routine plus simple, plus pauvre qu’en France, que j’essaie de penser aux changements que cela pourrait occasionner une fois revenu au pays. Difficile à imaginer. J’avais lu l’encyclique du pape François Laudato si durant mes études d’ingénieur, et je m’en rappelle peu, mais je me souviens avoir été marqué par ces deux aspects : l’Église s’intéresse vraiment à la protection de l’environnement, et l’Église s’intéresse vraiment aux plus pauvres. Ces deux aspects, qui sont liés selon notre pape, et qu’on peut retrouver dans l’écologie intégrale. Cette écologie que j’essaie de vivre : être au contact de jeunes, leur transmettre un savoir ou une démarche de réflexion, et protéger l’environnement au moins en agriculture. Ce n’est pas une conversion que j’ai vécu, mais le hasard de la route m’a conduit ici. Je découvre actuellement la pédagogie, la transmission, la formation, et c’est un métier passionnant. Alors je ne peux pas dire que l’encyclique m’a donné le courage de changer, mais plutôt que le Cameroun m’a mis dans le bain, et que je projette plus tard de mêler social et agriculture une fois de retour en France. Il en aura fallu du temps, depuis la lecture de Laudato Si’, mais désormais…
Je sais que je suis à ma place là où je suis pour le moment. »