Vétérinaire, Clémentine a enseigné pendant un an la physique-chimie au sein du Groupe Scolaire Madeleine Daniélou. Cette école d’Abidjan (Côte d’Ivoire) s’est donnée pour mission de fournir aux filles une « formation globale de la personne sans séparer l’intelligence du cœur ou de l’âme, de celle de l’esprit ». Interview
Quelle a été l’intention de Madeleine Daniélou au départ ?
Madeleine Daniélou désirait offrir aux jeunes filles une éducation de qualité, ne se résumant pas simplement à un apprentissage purement intellectuel, mais reposant sur une formation de la personne en profondeur, prenant en compte l’intégralité de ce qu’elle est, y compris sa foi. Cette inspiration a engagé depuis une route vers l’éducation d’excellence couplée à une réelle formation humaine et spirituelle au service de l’autre.
Comment son inspiration s’est incarnée à Abidjan ?
L’inspiration de Madeleine Daniélou s’est incarnée par la présence de la communauté SFX à Abidjan, par les établissements scolaires que la communauté a créés, et par les missions diverses des sœurs. Il y a deux écoles sfx aujourd’hui : le Lycée Sainte Marie dans le quartier de Cocody qui date des années 60, et le Groupe Scolaire Madeleine Daniélou (GSMD), vers Bingerville, qui a accueilli ses premières élèves en septembre 2020. La communauté anime aussi un centre de formation spirituelle et humaine pour les étudiants abidjanais.
La proportion de filles scolarisées
en Côte d’Ivoire baisse drastiquement
au fur et à mesure que le niveau scolaire augmente
Le Groupe scolaire Madeleine Daniélou est donc réservé aux filles…
Effectivement, il s’agit de répondre au défi de l’éducation féminine, que ce soit en France, en Corée du Sud où la communauté sfx est également implantée, mais aussi en Côte d’Ivoire. Les inégalités hommes/femmes sur le plan de l’éducation, que ce soit pour y accéder ou pouvoir y exceller, sont souvent criantes, et le projet du GSMD est d’y répondre à son échelle en accueillant à terme 1400 jeunes filles de la maternelle à la terminale. Le choix de consacrer l’école spécifiquement aux filles s’articule autour de plusieurs points qui reposent sur le désir de promouvoir l’épanouissement et l’excellence de la jeune fille dans un monde où elle n’est pas toujours mise en valeur. La proportion de filles scolarisées en Côte d’Ivoire baisse drastiquement au fur et à mesure que le niveau scolaire augmente : le GSMD envisage pour ses élèves un parcours bien suivi en les accompagnant jusqu’à des études supérieures.
Avant ta mission, tu suivais une formation pour devenir vétérinaire. Qu’est-ce qui t’y a poussé ?
J’ai choisi de poursuivre des études vétérinaires d’abord pour réaliser un rêve d’enfant basé sur un joyeux mélange d’amour de la nature, d’intérêt pour le domaine du soin, et d’envie d’être utile. J’avais aussi envie de faire des études intellectuellement stimulantes qui me permettraient de me dépasser, et mon travail m’a permis d’y arriver !
Le métier de vétérinaire par exemple
était auparavant exclusivement masculin
mais, avec l’ouverture des opportunités
aux femmes et leur travail excellent,
les écoles vétérinaires sont désormais
remplies de jeunes femmes.
Le fait d’être une femme a-t-il eu un effet sur ton discernement et sur ta formation ?
Oui, je dirais que le fait d’être une femme a eu un effet sur mes choix, et en a toujours ! Je ne me suis jamais considérée comme inférieure à un pair masculin, et n’ai pas peur de lever bien haut la tête si on me le reproche. Mais être une femme est une partie essentielle de ma vie, et a forcément de l’impact (surtout positif à mon sens !). Le métier de vétérinaire par exemple était auparavant exclusivement masculin mais, avec l’ouverture des opportunités aux femmes et leur travail excellent, les écoles vétérinaires sont désormais remplies de jeunes femmes. C’est une belle avancée qui exige parfois des adaptations dans les méthodes de travail, et aussi dans les parcours professionnels, le mien y compris !
En mission tu as enseigné la Physique-Chimie. Quelle place occupe les sciences dans la formation des élèves de Daniélou ?
Les sciences occupent une place essentielle dans la formation des élèves de Daniélou. Tout est mis en place pour leur permettre un apprentissage optimal, notamment des laboratoires, ce qui n’est pas évident en Côte d’Ivoire ! L’intérêt des élèves pour les matières scientifiques dépend des profils, mais ce que j’ai pu voir en physique-chimie, c’est que même les élèves plus réticentes finissaient par trouver un certain intérêt à la matière, à travers une expérience sur la lumière, un exposé sur les robots, une discussion sur la pérennité de l’utilisation du pétrole, ou un cours où elles comprennent la formation d’un arc-en-ciel. Les professeurs s’appuient sur les ressources dont ils disposent, animent un club scientifique pour les élèves intéressées, et surtout se forment régulièrement, ce qui contribue à un bel enseignement.
Bien sûr, les autres matières sont également mises en avant, et certaines élèves brillent, notamment dans les langues étrangères enseignées à Daniélou, lors de concours nationaux.
J’étais la seule femme parmi
tous les professeurs de sciences
et je pense que cela n’était pas anodin
pour elles de voir qu’une femme
y avait toute sa place.
Qu’est-ce que l’enseignement auprès des filles de Daniélou t’a apporté et leur a apporté ?
Le message que j’ai essayé de transmettre à mes élèves était de faire de leur mieux en toutes choses. C’est une des premières choses que je leur ai dites en les rencontrant, et je l’ai maintenue toute l’année : faire de leur mieux dans leur travail, dans leur façon de se tenir en classe, d’interagir les unes avec les autres, et de croire en elles. La fin de l’année et les retours reçus de mes élèves et de leurs parents a prouvé que le message était passé ! Je pense que je leur ai également apporté une oreille attentive aux soucis de leur quotidien, et un exemple de femme engagée pour un monde meilleur. J’étais la seule femme parmi tous les professeurs de sciences et je pense que cela n’était pas anodin pour elles de voir qu’une femme y avait toute sa place.
Quant à moi, je redécouvrirai sûrement toute ma vie les fruits de cette année auprès de mes élèves à Daniélou. Je pense qu’elles m’ont fait sortir de moi-même pour leur donner, moi aussi, le meilleur de moi-même. Elles m’ont fait découvrir leur culture, leurs vies, leurs inquiétudes de collégiennes et lycéennes, et m’ont transmis beaucoup d’amour. Leur soif d’apprendre a réveillé la mienne, et le dynamisme de mes élèves a été une source de joie sans fin. J’ai beaucoup aimé enseigner et m’améliorer peu à peu pédagogiquement parlant, et cela aura sans doute une résonnance particulière dans la suite de mes aventures professionnelles.
En bref, je ne peux que remercier mes chères élèves pour toute la lumière générée par leurs circuits électriques et leurs beaux sourires.
Quel espoir portes-tu pour ces filles quant à leur rapport aux sciences ?
Je porte un très bon espoir pour nos élèves du Groupe Scolaire Madeleine Daniélou, qui ont la chance d’être dans un si beau cadre d’enseignement, où tout est fait pour favoriser leur apprentissage. Chacune choisira son chemin, scientifique ou non (il nous faut aussi de bonnes avocates, économistes, autrices, et j’en passe !), et je suis persuadée qu’elles iront loin car elles en ont les capacités. Certaines m’ont fait part de leur désir de devenir astrophysicienne, ingénieure, médecin, chimiste en parfumerie, alors je ne peux leur souhaiter qu’un beau parcours avec des personnes qui sauront apprécier leurs nombreux talents. En route les filles !