Cela fait plus de 5 mois que je suis volontaire pour l’association Anta Akhi qui accueille des personnes en situation de handicap. Je vis de façon communautaire sur mon lieu de mission à Ballouneh qui est à 10 km à vol d’oiseau du port de Beyrouth qu’on aperçoit depuis le toit-terrasse de la maison.
Vivre un volontariat est toujours une expérience unique qui vous déracine et vous emporte dans une autre culture loin de chez vous. Et cette terre étrangère devient pour un temps Votre pays.
Vous vous y attachez, vous apprenez à aimer son peuple, vous partagez avec lui ses joies, ses peines, ses difficultés et parfois aussi ses moments historiques. C’est ce qui s’est passé hier.
Il est donc 17 h 50 ce 4 août quand une énorme déflagration a fait bouger notre maison pendant quelques secondes, dans un grand bruit. J’ai d’abord cru à un tremblement de terre mais un ami de Beyrouth m’a vite écrit sur Whatsapp ce qu’il venait de se passer et j’ai découvert comme vous les images.
D’ordinaire, on a une magnifique vue sur Beyrouth d’ici, avec le port au premier plan, mais un nuage blanc qui s’était accroché à Beyrouth depuis le matin m’empêchait de voir la situation.
Nouvelles prises de toutes mes connaissances, collègues et amis, tout le monde est sain et sauf. La sœur d’un collègue a été blessée mais ses jours ne sont pas en danger. Trois de mes amis ont eu des dégâts chez eux, dont un assez sévèrement. Vu les images, j’aurais imaginé bien pire.
Depuis l’accident, avec les résidents du foyer et leurs accompagnateurs confinés pour cause de coronavirus, nous passons beaucoup de temps à regarder les images avec sidération, les images des rues de Beyrouth sinistrées dont la télévision nous abreuve.
Nous sommes en communion de pensée, en solidarité, soudés dans la douleur.
Ce matin, un temps de prière a été aménagé pour que chacun puisse tourner son cœur vers le Liban. Un moment fort de mon expérience où j’ai pu sentir la force de notre union de pensées.
Notre amour pour ce pays nous fait ressentir une grande tristesse. Ce peuple déjà éprouvé par les guerres, par la menace permanente d’un nouveau conflit avec Israël, par une crise socio-économique reposant sur une classe dirigeante corrompue, par le coronavirus qui ne fait que s’amplifier, est désormais dévasté. Tout est à reconstruire, et le port va être en tout ou partie inopérant pendant des mois, ce qui ne va rien arranger à la flambée des prix qui ont déjà été multipliés par 5 sur certaines denrées ! Un immense grenier à blé a volé en éclat alors que le prix du pain a déjà augmenté de façon considérable…
Et pourtant déjà, plus fort que ces sentiments parfois contradictoires qui se mélangent se dégage une manière de réagir héritée du passé : la résilience. Cette résilience qui trouve son ciment dans la fraternité, la solidarité, l’humanité et la générosité dont sait faire preuve ce peuple. Toujours, les libanais savent affronter le pire avec courage à continuer à vivre, reconstruisant leur futur jour après jour, pierre après pierre, avec patience et détermination.
A titre un peu plus personnel, je ressens une profonde tristesse : depuis mon déconfinement qui n’a duré que quelques semaines (le Liban a été reconfiné il y a peu), j’ai emprunté de nombreuses fois l’autostrade, cette route côtière qui longe le Liban du Nord au Sud, une route vilaine, et polluée, bordée d’immeubles, de commerces, de maisons souvent de mauvais goût. Mais à chaque fois que je l’empruntais en regardant les jolies lumières sur le port de Beyrouth – que je contemple d’habitude depuis la terrasse – je me disais : quelle chance j’ai de vivre ce volontariat ! Désormais il ne va rester que des décombres, des maisons éventrées, un peuple toujours aussi résilient mais en colère, et surtout, en deuil…Mais de mon côté, il restera aussi mon soutien et ma détermination à accomplir ma mission, ma façon à moi d’être résilient devant cette épreuve.